Paris, 3 janvier [18]72, mercredi matin, 9 h.
J’espère, mon cher adoré, que tu as bien dormi et que tu ne ressens pas de fatigue de ta lecture. Je l’espère parce que tu ne paraissais pas en souffrir et que ta voix n’a pas fléchi une minute pendant les trois heures qu’elle a duré [1]. Quant aux autres sujets d’inquiétude, je les laisse de côté pour ne pas ressembler aux anguilles de Melun qui crient avant leur élection [2]. Dieu sait ce qu’il fait, même quand cela nous paraîta contre notre bonheur. Aussi je me résigne, ne pouvant faire autrement, à ce qui va se passer dimanche, mais je serai bien contente si ce que je crains ne soit pas. En attendant, je me rabats sur le bonheur de Petit Georges et de Petite Jeanne qui s’épanouit dans un Eden de joujoux dont les archanges chantent les louanges du bon Dieu avec la [pratique ?] de Polichinelle dans le ventre [3]. Cette [sacrée ?] musique a plus de charme pour moi que les bêlements des ruraux, même quand ils sont solfiés au Moniteur [4]. À propos de bêtes, il fait un temps de chien ce matin. J’aurais pourtant bien besoin de remplacer au plus tôt ma paire de lunettes car mon pince-nez me gêne quand je le garde longtemps. Dès qu’il fera un peu moins laid, je te prierai de me faire sortir si tu en as le temps. Et puis je t’adore, voilà mon contractuel.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 3
Transcription de Guy Rosa
a) « parrait ».