Paris, 13 février 1881, dimanche matin, 9 h.
J’ai respecté ton profond sommeil, mon doux adoré, pensant, avec raison, qu’il te rendra un meilleur service encore que ta tasse de lait et ton sirop de Tolu [1]. J’ai baisé le bord de ton drap et je suis venue ici admirer le temps splendide, mais raidibus, qu’il fait ce matin. Les pauvres canards n’en continuent pas moins à barbotera au milieu des glaçons. Brr, brr, brr, cela vous fait passer le givre jusqu’auxb moelles.
Il ne faut rien moins que l’espoir d’avoir quelques lignes de toi dans mon cher livre rouge le 16 de ce mois [2] pour me faire jaillir feu et flamme du cœur et de l’âme. Dans trois jours, mon divin bien-aimé, mercredi prochain, 16, il y aura quarante-huit ans que je t’appartiens corps, cœur et âme dans cette vie et dans l’autre pour l’éternité.
Tu sais que c’est le jour de Lesclide aujourd’hui et que tu as un fort courrier à éplucher. Sans compter beaucoup de réponses pressantes et pressées. Le ministre de la guerre [3] te donne avis que, sur ta recommandation, il vient d’envoyer au gouverneur militaire de Paris l’affaire de Mlle [Pintre ?] pour qu’il ait à statuer sur la légitimité de sa réclamation. Et moi je te donne avis que je t’adore, ni plus ni moins, comme en février 1833.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 25
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « barbotter ».
b) « jusque aux ».