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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 novembre [1841], dimanche matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. J’étais bien souffrante hier, mon Toto, et par contrecoup bien maussade, mais tu ne m’en veux pas, n’est-ce pas, mon adoré ? Je t’assure que je souffrais réellement beaucoup. J’ai éteint ma lampe toute de suite après que j’ai été couchée et je me suis endormie. Cela m’a fait du bien et ce matin je me sens mieux [1]. Je copierai tout à l’heure et je tâcherai de finir tout mon TRAVAIL afin que tu puissesa réparer ma bévue et donner de la besogne à tes imprimeurs [2]. Ma Clairette est à la grand-messe, elle ne doit pas avoir très chaud, tant s’en faut. La pauvre fillette voudrait bien venir tous les quinze jours comme toutes les autres péronnelles mais la nécessité de déranger Lanvin, mais les omnibus, tout cela sont de graves obstacles que je ne me charge pas de lever. D’ailleurs, elle est assez raisonnable maintenant et elle entend assez bien la raison pour comprendre la presque impossibilité de sortir tous les quinze jours. Sur ce, baisez-moi.
Je n’ai plus qu’un mois et 23 jours [3] et j’ai de très beauxb fauteuils, bien plus beaux encore au jour. Ils sont ravissants et le Jourdain n’a pas floué un seul morceauc car j’avais tout calculé, et en utilisant tous les morceaux, c’était tout ce qu’on pouvait faire : cinq fauteuils [4]. Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! Je ne sais plus où j’en AI, voilà la bague qu’on m’apporte qui est vraiment admirable [5]. Elle coûtera 40 F. au juste et même on avait bonne envie de m’en demander 45 F., mais je me suis prévalue du premier prix et ce sera ce que je te dis. J’ai en outre le petit morceau d’acier que je garderai comme souvenir toute ma vie. Merci mon Toto chéri, merci mon adoré petit homme. Il me semble qu’avec l’argent de la malle [6] et du tapis, tu pourras couvrir une bonne partie de cette dépense inattendued. Pour que mon bonheur soit complet, il faudrait que cela ne te coûte pas une fatigue, pas une veille, pas un regret. Quel dommage qu’on n’échange pas son sang contre de l’or, je ferais souvent trafic du mien chaque fois qu’il s’agirait de t’épargner une fatigue ou un ennui. Hélas ! ça ne se peut pas et je ne peux que t’aimer de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 95-96
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « puisse ».
b) « beau ».
c) « morceaux ».
d) « inatendue ».


7 novembre [1841], dimanche après-midi, 2 h.

J’ai fini, mon Toto, il n’y a plus qu’à mettre en ordre les feuilles mais c’est toi qui arrangeras cela. C’est toujours admirablement beau, mon amour, et je voudrais pouvoir t’exprimer mon admiration comme je la sens, mais à l’impossible nul n’est tenu et Juju moins qu’un autre.
J’ai un mal de tête fou par exemple, et il n’est pas sûr que je ne vomisse pas mon déjeuner tout à l’heure. Peut-être aussi me coucherai-je car j’ai un de ces frénétiques mauxa de tête comme il m’en arrive quelquefois. Du reste, je suis ravie d’être venueb à bout de copier jusqu’à la fin mon cher petit manuscrit et je défends à mamzelle Didine d’y fourrer une seule pattec de mouche si elle ne veut pas avoir la mienne sur le nez [7]. Voilà mon ULTIMATUM, attrape ce latin-là en passant, pôlisson, et dis m’en des bonnes nouvelles [8].
J’ai une bague monumentale mais je ne l’ai pas encore montrée à Claire, j’attends que je sois débarbouillée pour la lui montrer. J’ai cependant comme un remords de t’avoir forcé à faire cette dépense dans un moment si peu opportun. Mon Toto bien-aimé, si tu m’en crois, nous vendrons quelque chose qui ne me sert pas et nous couvrirons cette petite folie de cette manière. Je t’en prie, je t’en prie, je t’en prie. Je t’aime, mon Victor bien-aimé, je t’aime de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme. Je t’attends pour te le prouver dans un million de baisers.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 97-98
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « mal ».
b) « venu ».
c) « pattes ».

Notes

[1Juliette avait très mal à l’œil la veille.

[2Juliette copie la Conclusion du Rhin, que Hugo transmet au fur et à mesure à ses imprimeurs.

[3Juliette réclame depuis le début de l’année une petite boîte à tiroirs, que Hugo a promis de lui offrir pour le nouvel an. Elle la recevra finalement en avance le 19 novembre.

[4Depuis le 29 octobre, Juliette se plaint de douleurs au coccyx à cause d’une chaise inconfortable. Elle a donc commandé à Jourdain de nouveaux fauteuils.

[5Juliette voulait faire faire une bague à Hugo qui porte son nom. Néanmoins, il semblerait qu’il en attendait aussi une autre avec ses armoiries et que finalement, Juliette devait s’occuper des deux (voir les lettres du 22, 23 et 27 octobre).

[6S’agit-il de l’« affreuse malle vermoulue » que Juliette a transformée en « un charmant petit coffret en tapisserie » et qu’elle a donnée à Hugo début septembre ?

[7Juliette est souvent en concurrence avec Léopoldine Hugo dans sa copie des œuvres de Hugo.

[8Hugo taquine sans cesse Juliette sur son « latin de cuisine ».

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