Paris, 20 juillet [18]79, dimanche matin, 7 h.
Cher trop aimé, heureusement pour toi, tu échappes à l’obsession de mon amour incessant par le sommeil le matin et par ton travail le jour. C’est ce qui me permet de tant t’aimer sans que tu t’en aperçoivesa beaucoup. Aujourd’hui le prétexte de l’agrandissement de ma tendre élucubration est l’approche de ta fête [1] que, réglementairement, on doit te souhaiter la veille ainsi que je le fais ce matin avec le doux espoir de pouvoir recommencer demain avec l’autorisation de l’almanach.
Comme il ne fait pas encore jour chez toi j’ignore comment tu as passé la nuit, mais si j’en crois mon désir tu as dû bien dormir toute la nuit. En attendant que ce bon espoir se confirme j’appelle ton attention sur la quantité des lettres plus ou moins intéressantes qui attendent que tu les lises et peut-être que tu y répondes. Et à ce propos, il y en a une de Mme Retoux fort incandescente qui te prie de la recevoir demain. Cette dîme prélevée sur ma propre joie, j’en fais le sacrifice pour en augmenter ton propre plaisir qui est de caqueter avec toutes les femmes sans souci des tristes impressions que j’en reçois et des douloureux souvenirs que cela réveille en moi [2]. Donc, à demain Mme Retoux et sa mimique hystérique. Autre guitare, avec la même pluie et le même froid, et le même air que par le passé, c’est désolant. Désolant, aussi, mon pauvre genoub qui ne veut entendre à aucun amendement [3]. Je crois que je serai forcée de recourir aux fumigations sèches [4] qui ont guéri Vacquerie, et qu’Émile Allix ainsi que le Docteur Sée me l’ontc conseillé tout d’abord. Il est impossible que je n’essayed pas sérieusement de recouvrer l’usage de ma jambe et de diminuer l’intensité de ma douleur. Il y a un établissement ici près, paraît-il, où je pourrais me faire conduire, ce serait beaucoup moins cher que de me faire traiter à domicile. Je te demande pardon de t’occuper autant de mes maussades infirmités physiquese et morales. Quant à toi, mon trop aimé, je te souhaite le bonheur. Quant à la santé et à la gloire, tu les as avec mon éternel amour par surcroît.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 179-180
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette
a) « aperçoive ».
b) « genoux ».
c) « on ».
d) « esseye ».
e) « phisiques ».