9 juin [1841], mercredi matin, 10 h. ½
Bonjour mon bien-aimé, bonjour toi que j’aime, bonjour mon ravissant petit homme, bonjour, bonjour PICARDET [1].
« On le vit parfois plonger dans les fers le monarque qui présidait au char impétueux de ses escadrons ».
Ia ia monsire matame , la PAIONNETTE AU QUI GOMME À IÉNA UNE PONNE [QUISBITE ?] [2] !!!!a Ce ne sont pas des académiciens, ce sont des bichonsb à la sauce allemande. Quels cuistres, sans parler du NATIONALc [3]. C’est égal, ils ont été quisbités par ton discours, par ta personne, par tout le monde entier qui n’est pas vieux, laid, bête et BLAIREUX. Ia, ia monsire matame, il est son sarme.
J’espère que tu n’iras pas demain à la réception de SAINT-AULAIRE ? D’ailleurs ild ne joue plus dans Hernani [4], tu n’as pas de ménagements à garder. Je te défends donc d’aller voir sa représentation demain. Je te défends également d’assister à la parade de l’Ancelot [5] ou je te fiche des GIFFES. Je n’ai pas besoin moi de vous envoyer dans les mauvais lieux et parmi toutes les toupies [6] de Paris et de la banlieue. Je ne le veux pas, je ne le veux pas, entendez-vous. Ce que je veux impétueusement et impérieusement c’est d’aller avec vous à Hernani ce soir. Vous me ferez la plus grande joie du monde si vous le pouvez. Sinon je resterai dans mon pauvre coin toute seule à vous désirer et à vous aimer comme un chien.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 235-236
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) Il y a quatre points de suspension.
b) « bicheons ».
c) « NATIONNAL ».
d) « ils ».
9 juin [1841], mercredi après-midi, 3 h. ½
Je viens de te voir, je viens de t’entendre et de sentir ton souffle sur mes lèvres, ton âme dans mon âme. Je suis heureuse, je suis ravie, je t’adore. Je ne verrai pas Hernani ce soir mais ce qui me console c’est la certitude de t’avoir une partie de la soirée, de te servir et de baiser tes chers petits pieds.
Tu as reçu une lettre de Strasbourg [7] parfaitement bonne et sincère et qu’on croirait écrite par mon frère si j’en avais un qui fût en état de te comprendre. Toutes ces intelligences, tous ces cœurs qui te répondent d’un bout du monde à l’autre dès que tu daignes te montrer à l’horizon me font l’effet des beaux cierges qu’on allume un joura de grandes fêtes et de l’encens qui brûle pendant l’O salutaris [8]. Moi je suis la pauvre petite lampe éclipsée pendant ces illuminations d’un moment mais qui ne s’éteint jamais et que le bon Dieu trouve toujours veillant et brûlant devant l’autel quand toutes les cires et tous les encens sont éteints [9]. Moi je t’aime, eux t’admirent, voilà la différence. Mon Victor bien-aimé, mon noble et généreux homme, je t’aime d’un amour ineffable et divin. Je t’aime avec la bouche et le cœur, avec les yeux et l’âme. Tout mon être est concentré en toi, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 237-238
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « jours ».