1er juin [1841], mardi matin, 10 h.
Bonjour mon cher adoré bien-aimé, bonjour pauvre bien-aimé. Je suis dans une inquiétude et dans une angoisse inexprimablesa. C’est à cause de ce fameux pupitre. Si par hasard on le change de place je serai juste derrière toi et voilà ce qui me désespère [1]. Je suis capable d’écrabouiller ce hideux Jouy [2] et cet immonde Dupaty si par leursb [criailleries ?] ils étaient cause de mon affreux désappointement. Vraiment, depuis que cette crainte m’a passé par l’esprit je suis la plus malheureuse des femmes et je crois que si je ne pouvais pas voir ta belle et rayonnante figure ce jour-là, rien ne pourrait m’empêcher de pleurer de rage et de regret. Rien que d’y penser, j’ai les yeux pleins de larmes. Comment donc faire, mon amour ? Car toi-même tu n’y peux rien et tu ne le sauras que lorsque tu y seras et par conséquent il ne sera plus temps de remédier à mon malheur, si malheur il y a. Pardon de t’occuper de moi dans ce moment-ci, mon adoré, mais je t’aime tant que je serai au désespoir de manquer cette occasion de voir ta belle et noble figure. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 211-212
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « inexprimable ».
b) « leur ».
1er juin [1841], mardi soir, 4 h. ½
Tu m’as remis du baumea dans mes épinards, mon bien-aimé, en me disant que, quoi qu’il arrive du pupitre je serai toujours en face de ta ravissante petite personne. C’est tout ce qu’il me faut, te voir et t’entendre, voilà ma seule coquetterie et ma seule ambition ce jour-là. Il y en a encore une autre que je ferais valoir, si par impossible l’un des deux théâtres avait le bon goût et le bon calcul de jouer une de tes pièces ce jour-là [3], ce serait d’y aller avec ma fille le soir de la première représentation. Voilà toutes mes exigencesb, est-ce bien exorbitant ? M’aimez-vous scélérat ? M’aimez-vous ACADÉMICIEN ? Vous n’en avez pas beaucoup l’air mais je vous surveillerai, soyez tranquille. Jour mon cher Toto, jour mon petit o.
J’ai empêchéc Claire ce matin de m’acheter une botte de roses d’un soir dans la crainte de vous tourmenter. Dites après cela que je ne suis par une bonne Juju si vous l’osez. Taisez-vous et aimez-moi, je vous l’ordonne.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 213-214
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « beaume ».
b) « exigeances ».
c) « empêchée ».