27 mars [1841], samedi après-midi, 1 h.
Il est bien tard, mon adoré, pour vous donner le bonjour quoique ma pendule avance d’une demi-heure [1]. C’est que j’ai pris un bain ce matin [2], que j’ai déjeunéa à la suite, c’est ce qui est cause du retard apporté dans mon bonjour quotidien. J’étais levée à 9 h. J’ai assez mal dormi, du reste, à cause des punaises qui m’ont tourmentée toute la nuit ; je vais leur faire une chasse tout à l’heure dont ellesb se souviendront longtemps.
J’ai rêvé toute la nuit de votre portrait et de la ravissante image de Notre-Dame. Si j’étais ma maîtresse au lieu d’être la vôtre, j’aurais eu les deux choses le soir même coûte que coûte, quand j’aurais dû vendre ma dernière chemise et mon dernier poêlon. Mon Dieu, qu’il faut de vertu pour résister à de pareilles tentations, j’entends de vertu domestique. Quand donc serons-nous riches assez pour que je me donne de vos images et de vos portraits à bouche que veux-tu ? En attendant, je ne serais pas fâchée que vous vinssiez me baiser tout de suite. Jour Toto, jour mon petit o. Je vous aime de toute mon âme et je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 287-288
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « déjeuner ».
b) « elle ».
27 mars [1841], samedi soir, 6 h. ¼
Une journée bien froide, bien noire et bien triste, mon adoré, qui vient de s’écouler. J’espère que tu n’auras pas fait l’imprudence de sortir avec tes bottes percées ? Ce serait vouloir risquer ta santé que de sortir de ce temps-ci avec les affreuses poêles à marrons que tu décores du nom de bottes. Aussi je pense que le besoin d’en mettre de véritables t’amènera plus tôta à la maison [3]. Mon Dieu que je bisque quand je pense à tout ce que j’ai vu de beau hier, fait d’après vous. Que je donnerais volontiers du bon sang et bien des années d’existence pour avoir tout cela à moi dans une petite chambre que vous habiteriez avec moi et dont vous ne sortiriez qu’avec moi. Ia, ia monsire matame, ce serait une véritable vie de CHAT MOINE [4] qui n’est pas faite pour les gens qui aiment de tout leur cœur comme moi. C’est égal, je tenterai encore la chose pour le portrait, ce sera peut-être inutile mais nous essayeronsb toujours, n’est-ce pas mon Toto. Je t’aime mon chéri, je t’adore mon ravissant petit homme.
J’ai eu beau chercher, fouiller, et houspiller mon lit de fond en comble pour trouver les punaises, je n’en ai pas trouvé la queue d’une. Je suis cependant bien sûre d’en avoir tué deux ou trois cette nuit autour de mon cou mais je ne les en tiens pas quitte. Jour Toto, je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 289-290
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « plutôt ».
b) « esseyrons ».