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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 mars 1841

24 mars [1841], midi ½, mercredi

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit bonhomme. Votre couturière est enfin revenue mais elle a apporté de la gansea de soie et des boutons qui ne peuvent absolument pas servir. Pour peu qu’on ne les lui rechange pas, ce sera 3 F. de perdusb. Décidément, je suis très vexée et très fâchée d’avoir fait faire cette robe de chambre chez moi. Je désire que tu l’essaiesc de nouveau une fois devant l’ouvrière afin de voir ce qu’on peut y faire encore mais je doute fort qu’on puisse y remédier définitivement [1].
Tu n’es pas revenu, mon cher bien-aimé, tu as encore travaillé, mon pauvre petit homme. Hélas, cette raison quotidienne qui s’oppose à mon bonheur, loin de me consoler, m’exaspère car je ne prévois pas quand ça finira [2]. Je t’aime trop, mon Toto, et toi-même tu ne sais que faire de tout cet amour qui t’obsède, qui t’enveloppe et te serre de toutesd parts et tu ne trouvese rien de mieux à faire pour t’en débarrasser que de prendre le change sur les paroles les plus tendres, les craintes les plus passionnées et le chagrin le plus profond. Je m’en aperçoisf, mon Toto, et cela ajoute à l’amertume et à l’inquiétude de mon cœur. Je t’aime trop mais je mourrai avant de t’aimer moins. Je t’aime. mon cher petit bien-aimé, tâche de venir bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 275-276
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « gance ».
b) « perdu ».
c) « essaie ».
d) « toute »
e) « trouve ».
f) « apperçois ».


24 mars [1841], mercredi soir, 7 h. ¼

Vous n’avez pas de mémoire, mon cher petit, et vous partez de là pour me bougonner injustement. Je vous ai dit le jour où j’ai acheté votre brosse que je devais 6 F. 13 sous à M. Lambin ; depuis j’ai eu besoin d’acheter des peignes et des brosses à peigner, ce qui fait monter la note aujourd’hui à 12 F. 15 sous. Comme je n’ai que dix francs, je n’ai pas envoyé payer. D’ailleurs je dois encore 5 F. 11 sous à Suzanne. Maintenant battez-moi, tuez-moi, écorchez-moia et empaillez-moi si vous voulez, je ne m’y opposerai pas. La vie ne m’est pas assez agréable telle que vous me la faites depuis notre retour pour que j’y tienne beaucoup [3]. Il paraît que vous n’avez pas le projet de travaillerb toute la soirée aujourd’hui et que vous espérez dîner chez vous ? Si vous pouviez prendre sur votre dessert le temps de me faire faire un tour de promenade, cela me ferait du bien et du bonheur. Voyez si, sans vous ennuyerc excessivement, vous pouvez m’accorder ce que je vous demande.
Je ne vous ferai plus de dessin puisque vous vous en moquez ni plus ni moins que si c’était des œuvres médiocres [4]. Venez m’en redemander pȎlisson, vous verrez comme je vous recevrai. J’espère enfin que nous sortirons sans trop de déshonneur de votre atroce robe de chambre. En attendant, ne me laissez pas trop rancir et moisir toute seule chez moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 277-278
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « échorchez-moi ».
b) « travaillez ».
c) « ennuier ».

Notes

[1Depuis quinze jours, Juliette a emprunté à son amie Laure Krafft une robe de chambre qui sert de modèle à l’ouvrière Pauline afin d’en tailler une neuve pour Hugo. Malheureusement, elle se plaint souvent de la fainéantise et de l’inefficacité de celle qu’elle surnomme Penaillon ou qualifie d’affreuse « couson ». Elle déplore donc le fait d’avoir insisté pour s’en occuper alors que le tailleur de Hugo semblait être plus compétent pour cela.

[2Hugo vient tout juste de composer, le 22 mars, le poème « Mes vers fuiraient, doux et frêles » qui prendra place dans les futures Contemplations, 2e poème du livre II, L’Âme en fleur : « Mes vers fuiraient, doux et frêles, / Vers votre jardin si beau, / Si mes vers avaient des ailes, / Des ailes comme l’oiseau. / Ils voleraient, étincelles, / Vers votre foyer qui rit, / Si mes vers avaient des ailes, / Des ailes comme l’esprit. / Près de vous, purs et fidèles, / Ils accourraient, nuit et jour, / Si mes vers avaient des ailes, / Des ailes comme l’amour ! »

[3Du 29 août 1840 au 2 novembre 1840, soit pendant deux mois, Victor Hugo et Juliette Drouet sont partis pour leur voyage annuel, en malle-poste, pour la région du Rhin et la vallée du Neckar.

[4Juliette fait référence à sa lettre de la veille au matin où elle se plaignait de l’attitude de Hugo envers elle : « Quant à vous je ne qualifie pas la vôtre, il me faudrait trop de temps et trop de mots pour énumérer tous ceux que vous me faites souffrir. Je me borne, comme si je ne l’étais déjà pas de trop, à vous prier de ne pas me donner toujours du même tonneau », et elle avait agrémenté son propos d’un dessin d’un tonneau sur pieds avec les mots “[parfait, indifférent,  ?]” » écrits sur le couvercle.

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