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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 avril [1841], mardi matin, 11 h. ½

Eh ! bien cher bijou, vous ne voulez donc pas venir sous aucun prétexte ? Vous trouvez cette conduite plus drôle et plus agréable ? Permis à vous mais moi qui n’ai pas les mêmes raisons pour cela je la trouve très indrôle [1] et très embêtante. Sans ce pauvre petit morceau de bonheur que j’ai attrapé cette nuit au vol, je ne saurais plus quel goût il a, tant il y a longtemps que je n’en ai mangé. Vous êtes une bête, c’est moi Juju qui vous le dis.
L’ouvrière n’est pas venue encore aujourd’hui [2]. Peut-être accouche-t-elle mais dans tous les cas il serait nécessaire de porter à Mme Pierceau les caleçonsa à tailler [3]. Mais j’y pense, c’est aujourd’hui mardi, elle sera sans doute chez Mme Triger ; ainsi dans le cas, bien improbable, où vous auriez voulu m’y mener vous pouvez rengainer votre bonne volonté et dire : quel bonheur !!!
J’ai eu la visite d’Eulalie tout à l’heure, la sœur de Joséphine. Je lui ai parlé des caleçonsa, je les lui ai même montrésb. Elle m’assure qu’elle les fera exactement la même chose lorsqu’ils seront taillés. J’aime mieux cela que de les faire faire par Machine qui ne fait pas deux heures de suite son ouvrage correctement. Pour cela nous serons sûrs au moins qu’Eulalie le fera proprement et PERLÉ [4], comme on dit en couture.
Il est tard tard, je n’ai pas déjeunéc et j’ai toutes mes affaires à faire. Je te baise bien vite et je t’aime de toute mon âme. Ne sois pas longtemps sans venir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 69-70
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « calçons ».
b) « montré ».
c) « déjeuner ».


20 avril [1841], mardi soir, 5 h.

Avant de me mettre au bain, mon cher adoré, je veux t’écrire une bonne petite lettre d’amour car peut-être me coucherai-je en sortant du bain. Je me sens vraiment très souffrante. J’ai eu tort de vouloir faire ce nettoyagea de portes, de fenêtres et d’armoires mais c’est qu’aussi il n’y aurait pas moyen autrement de faire faire ce qu’on veut dans sa maison. C’est surtout par l’exemple qu’on agit sur cetteb espèce d’individu. Pauvre bien-aimé adoré, tu es toujours ineffablement bon, doux et charmant. Je fais plus que t’aimer, je te vénère du fond de l’âme. Ne t’inquiète pas sur ton cher petit Toto [5], ce ne sera rien. Tu as bien fait de faire supprimerc le travail du soir pour ce pauvre petit bien-aimé, que ne puis-je en faire autant pour toi mon Dieu. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Voici mon bain préparé, je vais m’y fourrer et puis ensuite je me coucherai à moins que je ne me trouve assez gaillarde pour rester levée. J’en doute, je suis une vieille patraque, n’est-ce pas mon Toto ? Tu as bien envie de me changer contre une neuve ? Ia ia monsire matame, viens-y pour voir un peu ce qui te crèvera sur la bosse. Baise-moi pôlisson.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 71-72
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « nétoyage ».
b) « cet ».
c) « suprimer ».

Notes

[1Il n’y a pas de référence à cette forme de négation lexicale dans les dictionnaires de l’époque.

[2Pauline.

[3Juliette s’inquiétait déjà de cela la veille au matin.

[4Figuré : se dit des petits ouvrages de main, faits avec un goût, un soin extrême. Et familièrement : c’est perlé, c’est très bien (Littré).

[5François-Victor Hugo. L’adolescent est d’une santé fragile, ce qui explique peut-être la remarque de Juliette.

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