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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 avril [1841], lundi matin, 9 h. ½

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour, bonjour toi que j’aime, bonjour scélérat. Pourquoi que vous n’êtes pas venu ce matin, vilain monstre ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Aussi jei vous en garde de ce que vous avez laissé, vous serez bien malin si vous le retrouvez. Ça vous apprendra à le laisser si longtemps rancir. Voime, voime, on t’en donneraa du bon Doi avec et bonne zande [1] pour le laisser moisir comme un vieux morceau de fromage. Encore que c’était mon ÂNEiversaire [2], c’est comme ça que tu y fais honneur, gredin. Reviens-y pôlisson voir si j’y suis, tu verras des bonnes giffes sur ton nez.
À propos d’anniversaire, c’est peut-être à cause de lui que j’ai les jambes si bien faites : 11b. Ia, ia monsire matame, il est son sarme. Je n’ai pourtant pas osé vous demander d’écrire à cette occasion-là sur mon livre rouge. Je vous sais si fatigué et puis ça n’est vraiment pas la peine de constater que je suis née du tout, à plus forte raison anniversaire par anniversaire. D’ailleurs, ce n’est pas à moi, quelque envie que j’aie d’avoir de ta chère petite écriture, ce n’est pas à moi à te demander cela. L’année passée tu m’as écrit de ton plein gré sur cette date mémorable, cette année tu ne m’auras rien écrit, toujours de ce même plein gré dont je pourrais me PLAINDRE et dont je ne me plains pas cependant parce que je sais combien tu es fatigué et combien ça t’ennuie d’écrire à propos de tout et pour n’importe quoi. [3]
Voici une lettre dans le format du journal de New York [4], tu peux en faire trois fois le tour de ton CABINET sans la lire, je te le permets et même au besoin je te l’ordonne. Mais ce que je te permets encore plus et ce que je t’ordonne encore davantage, c’est de venir me baiser bien vite et toujours, et sans cesse sans interruption depuis le matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au matin jusqu’à la consommation de la Juju. Ainsi soit-il.

J.

BnF, Mss, NAF 16345, f. 41-42
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « donneras ».
b) Juliette Drouet a dessiné deux barres parallèles obliques, représentant probablement ses jambes, pour illustrer la remarque précédente.


12 avril [1841], lundi après-midi, 2 h. ¼

Quel affreux temps, mon pauvre amour, et cette pauvre Clairon qui n’est pas encore arrivée. Pourvu qu’il n’y ait pas de malentendu et qu’on aille la chercher de chez le Lanvin [5]. Cette pauvre fille serait vraiment trop vexée, deux mois de clôture et pas de jour de congé, ce serait par trop fort. Je voudrais qu’elle fût arrivée pour être sûre qu’on ne l’a pas oubliée et qu’elle ne recevra plus ni grêle ni pluie sur la bosse car, Dieu merci, j’espère qu’il en fait un de temps. Quel bonheur !!!
Mon ménage est fait, mon linge est compté pour la blanchisseuse, ma toilette est faite et toutes mes poteries et toutes mes brocanteries sont savonnées et récurées de fond en comble. Je suis sur le VELOURSa pour vous écrire, je vais finir d’ourler votre dernier mouchoir de poche, après quoi on les savonnera tous ensemble et vous pourrez les emporter dans votre clocher comme la pie de l’opéra comique [6].
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je t’aime, je t’adore. Baise-moi qu’on te dit et tâche de venir bien vite entre deux ondées, j’ai besoin de te dire quelque chose à l’oreille : je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 43-44
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « velour ».

Notes

[1À élucider.

[2Juliette Drouet, dont le nom de naissance était Julienne-Joséphine Gauvain (nom de famille choisi par Hugo pour son héros de Quatrevingt-treize), est née le 10 avril 1806 à Fougères, mais elle a été baptisée le 12 avril.

[3Comme les lettres de réponse de Hugo sont plutôt rares, Juliette conserve précieusement le moindre petit « mot » qu’il lui écrit, le plus souvent à l’occasion des anniversaires, dans un petit dossier, le Livre rouge.

[4À élucider.

[5À cette époque Claire, pensionnaire dans un établissement de Saint-Mandé, vient régulièrement rendre visite à sa mère, en milieu ou fin de semaine à l’occasion de ses congés. Ce sont les Lanvin qui vont la chercher et la ramènent.

[6La Pie voleuse (La Gazza ladra), opéra comique en deux actes de Gioachino Rossini, créé en 1817.

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