17 janvier [1841], dimanche, midi ¼
Bonjour mon cher adoré, bonjour mon bien-aimé Toto. Comment vas-tu ce matin, mon pauvre petit homme ? Comment va ta tête ? Comment vont tes yeux et comment va toute ta chère petite personne ? Moi je suis assez malingre aujourd’hui, pour ce que tu sais qui n’est pas venu comme y faut dès le premier jour, ce qui me fait toujours davantage souffrir [1] ; et puis je te vois si peu que j’ai le cœur triste et malade. Voilà comment je suis ce matin après une nuit d’insomnie. Je t’aime mon Toto, je t’aime mon bien-aimé, comme jamais personne n’a été et ne sera aimé.
Je m’inquiète de notre position à cause de ta santé. Je tremble à chaque instanta que ce travail forcé ne te fasse tomber malade, et alors que deviendrai-je ? Je ne parle pas pour l’argent car je m’en moque comme de ma première chemise, mais de mon bonheur. Si tu étais jamais sérieusement malade et que je ne puisse pas te donner mes soins, je sens que je perdrais la tête. Voilà, mon adoré, outre le chagrin de ne pas te voir autant que je le désire, les tourments qui m’agitent jour et nuit. C’est ce qui fait que tu me trouves quelquefois l’air si triste et si abattu, mais je t’aime plus que jamais et je voudrais mourir pour toi, c’est bien bien vrai.
Tu as tous tes goistapioux aujourd’hui ? J’espère que cela ne t’empêchera pas de penser un peu à moi et de m’aimer. Je le leur rendsb d’ailleurs avec l’intérêt des intérêts, par conséquent ilsc n’ont rien à dire. Tâche de venir, mon cher amour, je te désire et je t’attends.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 53-54
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « ainstant ».
b) « rend ».
c) « il ».
17 janvier [1841], dimanche soir, 10 h. ¾
Mon cher petit caillou [rouléa ?], mon ravissant bijou, mon amour d’homme, mon Toto, enfin ce qui est le nec plus ultra du superlatif, je vous aime de toute mon âme. J’ai raconté toutes vos turpitudes [2]. Voime, voime, il y a de quoi FRÉMIR. Houuuuuuub, ça fait [illis.]. Enfin, ce qui est sûr et ce qui fait dresser les cheveux sur la soupe, c’est que l’infâme sort vous a fait ROI ce soir, roi de la fève à la barbe du bon Dieu et des femmes qui, elles aussi, ont leur droit à la couronne comme les diverses Isabelle [3], Victoria [4], doña Maria da Gloria [5] et autres. Le sort vous a fait roi, l’Académie [6] vous a fait….c ridicule et mon amour empereur de mon cœur : si vous n’êtes pas content de toutes ces dignitésd, c’est que vous n’êtes pas raisonnable. Mais je vous aime, je vous aime, je vous aime et je vous aime. D’avoir pu parler de vous ce soir, cela m’a fait le même bien qu’un abcès bien mûre qu’on perce. J’ai aussi mes abcès d’amour qui ont besoin de sortir comme les autres, sous peine de m’étouffer ou de me faire beaucoup souffrir. Pardon de mes figures, elles sentent la médecine d’une lieuef, cela tient au voisinage de Mme Triger. Mais ce qui provient de moi seule, c’est mon amour sans borne pour vous, monsieur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 51-52
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « roullé ».
b) Il y a six ou sept « u ».
c) Il y a quatre points de suspension.
d) « dignitées ».
e) « mûre ».
f) « lieu ».