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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 février [1841], vendredi, midi un quart

Bonjour méchant homme de 39 ans, bonjour vieux bonhomme, bonjour académicien. Vous êtes bien revenu ce matin fêter votre anniversaire, n’est-ce pas JEUNE HOMME ! Aussi, soyez tranquille, je le crierai par-dessus les toits votre ÂGE, ça vous apprendra à ne pas me faire la cour.
Je dirai votre affreux secret à tout le monde, je dirai aussi comme quoi [dessina] c’est moi qui ai fait votre discours de réception. Messieurs et chers collègues... je réclame d’avance votre indulgence si l’émotion que j’éprouve devant cette AUGUSTE assemblée et le souvenir des vertus publiques et privées de l’illustre Immortel que vos suffrages m’ont appelé à l’honneur de remplacer, si l’émotion, dis-je, éteint ma faible voix au milieu des sanglots. Hélas ! Messieurs, permettez-moi de m’asseoir un moment, l’émotion du cœur a gagné le corps, je crois que j’ai la colique ! Ici vous vous mettrez la main sur l’ABDOMEN et vous paraîtrez prêt à vous évanouir. La venette [1] des assistants une fois calmée, vous reprendrez votre discours et vous le finirez au milieu des trépignements de l’assemblée.
En attendant, je vous attends, ce qui n’est pas très gai.

Juliette

Collection particulière
Transcription de Florence Naugrette

a) Dessin : Hugo lisant son discours à l’Académie :

« Collection particulière »

26 février [1841], vendredi soir, 5 h.

Où êtes-vous, affreux Toto, pour que je vous envoie autant de calottes que vous avez de cheveux sur la tête ? Où êtes-vous, fallacieux bonhomme, pour que je vous flanque des giffes sur l’aile des zéphyrsa ? Venir une heure par jour et me faire sortir une fois par mois, voilà ma mesure il paraît. Diable, je n’aurai pas d’indigestion et je peux manger des pommes à mon aise la nuit en guise de réfrigérant, vous ne me tomberez pas sur le pied. Taisez-vous, vilain et vieux Toto, vous avez 39 ans [2] ! Voime, voime, vous êtes MINCE et PÂLE ; croyez cela et buvez de l’eau [3], vous n’irez pas de travers [4]. Taisez-vous.
La penaillon est venue tantôt mais je ne lui ai rien acheté, quoiqu’elle eût un coupon de Guingamp [5] qui m’aurait fait une très belle chemise peignoirb pour remplacer mes robes du matin. Mais comme nous sommes très bas percés, je ne lui ai même pas demandé le prix. Ceci est assez beau j’espère et doit me faire avancer au moins de six mois dans mon surnumérariat de prix MONTYONc [6] ?
Baise-moi, toi, et tâche de venir cette nuit coucher avec moi si tu ne veux pas que je me fâche de bon et sérieusement. Jour Toto, papa est bien I. Jour, je t’aime, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 193-194
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « zéphirs ».
b) « peignoire ».
c) « MONTHYON ».

Notes

[1Venette : Peur, inquiétude, alarme (TLF).

[2Victor Hugo vient de fêter ses trente-neuf ans le 26 février.

[3Reprise du dicton « Croyez cela et buvez de l’eau ». Le Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française (1842) précise : « Dicton que l’on adresse à une personne qui a l’air de croire ou de vouloir faire accroire quelque nouvelle dénuée de vraisemblance. C’est comme si on lui disait : “La chose est difficile à avaler, mais puisque vous voulez bien l’avaler, buvez de l’eau pour la faire passer” ».

[4La lettre du 9 mars 1841 au soir fera écho à celle-ci.

[5« Étoffe de coton lisse, de qualité superfine, tissée avec des fils de couleur, généralement de couleurs claires (rose, lilas, chamois, bleu de ciel), unie, rayée ou à carreaux, glacée pour un apprêt particulier. Ce charmant tissu a été en grande vogue, il y a vingt-cinq ans, et l’on en a fabriqué à Saint-Quentin des quantités considérables pour la consommation intérieure et l’exportation. On le fait encore en Alsace, et cet article n’a pas cessé d’être en faveur dans l’Amérique du Sud » (Dictionnaire universel, théorique et pratique, du commerce et de la navigation, Tome I, Paris, Guillaumin et Cie, 1839, p. 1438).

[6Le prix Montyon est un ensemble de trois prix annuels. Le premier, le prix de vertu, et le second, le prix pour l’ouvrage littéraire le plus utile aux mœurs, sont décernés par l’Académie française. Le troisième est un prix scientifique attribué par l’Académie des sciences.

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