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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 février [1841], mardi soir, 7 h.

Comme tu le dis, mon amour, c’est un bon préliminaire pour un anniversaire d’amour [1] qu’une matinée de bonheur, seulement il ne faut pas que le prologue soit aux dépensa de la pièce, c’est-à-dire qu’il ne faut pas que la matinée d’aujourd’hui empêche celle de demain. En général, c’est toujours aux dépensa du lendemain que tu me donnes le aujourd’hui, trop heureuse encore quand cela arrive une fois tous les six mois.
J’ai passé mon temps, mon adoré, à chercher le livre de Sainte-Beuve [2], à laver tes linges, à compter le blanchissage, la dépense et enfin à t’écrire. Je ne suis pas encore débarbouillée, je ferais peur au diable s’il s’avisait de me vouloir regarder dans ce moment-ci. Je ne sais pas si ma fille [3] vient ce soir ou demain, je ferai dans tous les cas savoir aux Lanvin de venir m’acheter du bois, car je n’en ai plus que pour deux jours tout au plus.
Je crains bien, mon pauvre Toto, de n’avoir pas le livre en question, je n’ai pas souvenir de l’avoir jamais eu en ma possession, quoique je me souvienne parfaitement de ta biographie. Je n’ai pas non plus le livre de Méry [4] et je suis sûre que jamais un morceau de papier ne s’est égaré chez moi depuis huit ans. J’ai quelque idéeb vague que tu l’as emporté dans le temps, ce volume, pour des renseignements dont tu avais besoin. Au surplus je ne l’affirme pas mais ce que j’affirme, c’est qu’il n’est pas dans ma grande malle [5] et qu’il ne s’est pas perdu chez moi, et puis bien d’autres chosesc encore : que je vous aime, que je vous adore et que vous êtes mon bien-aimé. Voilà ce qui est sûr et ce qui ne se perdra ni ne s’égarera jamais dans ma mémoire ni dans mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 149-150
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « au dépend ».
b) « quelqu’idée ».
c) « d’autre chose ».

Notes

[1Juliette Drouet et Victor Hugo sont devenus amants dans la nuit du 16 au 17 février 1833, date qui sera celle du mariage de Cosette et Marius dans Les Misérables.

[2Il peut s’agir (puisque Juliette précise que le livre de Sainte-Beuve fait la biographie du poète) de l’article qu’il lui consacre dans Critiques et portraits littéraires, paru pour la première fois en 1832, puis réédité plusieurs fois comme chez Renduel en 1836. Remerciements à Jean-Marc Hovasse qui a identifié pour nous cette référence.

[3À cette époque Claire Pradier, pensionnaire dans un établissement de Saint-Mandé, vient régulièrement rendre visite à sa mère, en milieu ou fin de semaine. Ce sont les Lanvin qui vont la chercher et la ramènent.

[4Juliette peut faire ici référence à plusieurs de ses œuvres : Une revanche de Waterloo, ou Une partie d’échecs, poème héroï-comique (1836), Scènes de la vie italienne (2 volumes, 1837), Les Nuits de Londres (2 volumes, 1840), Un amour dans l’avenir (2 volumes, 1841) ou Le Siège de Marseille par le connétable de Bourbon, chronique du XVIe siècle (1841).

[5S’agit-il déjà de la fameuse malle « aux manuscrits » de Hugo qui permettra plus tard à Juliette, lors de la fuite en Belgique de 1851, de sauver par exemple Les Misères, futures Misérables ?

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