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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mars 1838

13 mars [1838], mardi, 1 h. ¼ après-midi

Bonjour, mon adoré petit homme, bonjour, le plus grand et le plus beau des hommes, bonjour, le plus aimé. Je t’adore mon Victor, le mot encore n’est pas assez fort. Je t’aime mieux que cela. Je t’aime. J’ai lu hier au soir ta réponse au roi pour la pension de six mille francs qu’il t’offrait [1]. Comme c’est noble et digne et que ton désintéressement va bien à ton génie ! Tu es la gloire et l’honneur de ce temps-ci ! Le trop que tu as de ces deux choses suffira pour défrayer ceux qui ont moins que cela, et le nombre en est grand pourtant. Je n’ose pas te demander de me donner ces précieux papiers qui constatent les bons procédés du roi et ton noble désintéressement. Je sens bien que cela doit rester dans ta famille, ce sont deux monuments trop précieux pour l’en priver. Aussi n’en prendrai-je que la copie. Je t’aime, mon Victor adoré, je t’aime, mon sublime amant, je t’aime ; tu es sans doute au théâtre ce matin ? Je t’attends, sinon patiemment du moins avec amour. Je suis défigurée, j’ai la lèvre plus grosse que toute la figure, c’est la soirée d’hier qui en est cause. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 150-151
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain


13 mars [1838], mardi soir, 6 h. ¼

De quelque façon que je m’y prenne, mon bien-aimé, je ne peux que une fois en 8 mois sortir avant la nuit close même pour mes affaires. Je ne t’en veux pas mais il faudra cependant que je rentre bientôt dans la vie possible et commune à tous les honnêtes gens, même aux plus amoureux comme je le suis et comme tu pourrais l’être. Le mauvais sang que je me fais ne peut se comparer qu’à mon amour même. Tous les deux sont excessifs et hors des forces humaines. Je ne veux pas te gronder pourtant. Je sais bien que tu travailles, que tu as tes affaires, mais enfin pourquoi me tenir en prison sous ce prétexte et toute l’année encore ? Il me semble que tu pourrais bien te relâcher un peu de cette rigueur qui use inutilement ma santé et ma bonne humeur. Voici 6 h. ½, c’est-à-dire 5 h. ½ puisque ma pendule avance d’une heure, en voilà près de trois que je t’attends et il est probable que je ne suis pas au bout. Pour rien je me déshabillerais et me coucherais pour pleurer tout à mon aise. Quelle vie que la mienne, mon Dieu, à charge à tout le monde et surtout à moi, ne servant à rien sur la terre qu’à souffrir, et pourtant je t’aime plus qu’on ne peut le dire. Je t’aime et je pleure et je souffre et je maudis le jour où je t’ai vu. Mon Dieu quel malheur ! Quand cela finira-t-il ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 152-153
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain
[Souchon, Massin]

Notes

[1En 1829, Charles X avait tenté de calmer la colère de Hugo, dont la censure avait barré Marion de Lorme, en lui proposant (vainement) un dédommagement financier.

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