8 octobre [1837], dimanche matin, [10 ?] h.
J’avais commencé un bien beau rêve cette nuit. Malheureusement, comme tous les rêves, il s’est arrêté au beau moment. Je rêvais que vous étiez venu me voir dans la nuit, que vous aviez la voix bonne et ravissante, que vos paroles étaient de l’aira et vos caresses du feu. Et puis vous avez disparu comme un songe pour ne plus revenir. C’eût été bien doux et bien charmant de continuer ainsi jusqu’au jour, mais les rêves valent-ils ce qu’ils font ?
Il fait trop beau ce matin. Je ne vois pas pourquoib le soleil se permet d’éclairer des scènes aussi insignifiantes que celle qui se passe à l’heure qu’il est sur la surface de MON GLOBE [1].
Je vous aime mon cher petit homme bien aimé. Je voudrais vous le dire en beau langage pour que vous ne vous moquiez pas de moi. Mais j’ai la langue et l’esprit noués et rien n’est bête comme le cœur abandonné à lui-même. Vous n’avez pas perdu la lettre de Pradier n’est-ce pas ? Je serais forcée d’en écrire une autre ce qui serait peu récréatif. Je vais passer ma journée seule à ce que je prévois, car si vous êtes loin en train de travailler vous ne penserez pas à moi, c’est bien sûr. Pour vous punir, méchant homme, je ne cesserai de penser à vous, moi, et de vous aimer de toutes les forces de mon âme. Mais que je vous aime. C’est plus que tout au monde. C’est plus que la vie [illis.]. C’est plus que le ciel. Jour mon To. Comment va ton cher petit pied ?
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 249-250
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « aire ».
b) Ici on trouve un « pas » supplémentaire et erroné dont nous ne tenons pas compte.
8 octobre [1837], dimanche soir, 7 h. ¼
Vous voilà parti, mon adoré, et malgré vos menaces je ne crois pas du tout que vous reviendrez très tôt. Cependant si vous étiez aussi charmant au dedans qu’en dehors et si vous m’aimiez, vous seriez déjà dans mon escalier. J’ai mal à la tête. C’est bien gentil à moi d’être bonne et aimable avec une calotte de plomb pour bonnet. Si j’osais je pousserais d’affreux cris car je souffre vraiment. Tout à l’heure je ne m’en apercevaisa pas autant qu’à présent. Voilà l’effet de votre absence. Quand par hasard vous lisez mes lettres, ce qu’elles contiennent est comme non avenu et vous n’en tenez aucun compte. Toutes mes réclamations et toutes mes protestations s’en vont dans le sac aux oublis. C’est bien agréable. Je ferais aussi bien de remplir mon papier des lignes mystérieuses qui ornentb la prose de M. Duchâteletc [2]. [Dessin].
J’en serais autant avancée et vous aussi. Prenez-y garde, je m’emplis de fiel et de vengeance et un beau jour tout cela crèvera sur vous sans dire GÂRE LA GRAISSE [3]. En attendant, je suis la plus DISSIMULÉE, la plus HUMBLE et la [plus] PLATE de vos nombreuses SERVANTES. Avec lequel [4] j’ai l’honneur de vous aimer de tous mes sens à la fois y compris le cœur et l’âme.
Je t’aime Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 251-252
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « appercevais ».
b) « orne ».
c) Ici Juliette trace une série de longues lignes verticales qui occupent environ le quart de la page.