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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 mai 1849

9 mai [1849], mercredi matin, 11 h. ½

Vraiment, mon bon ange, je serais d’une ingratitude monstrueuse et stupide si je laissais passer sans protester de toutes mes forces l’absurde et injuste remarque que je faisais à ma journée d’hier. Quelles qu’aienta été mes déconvenues d’hier et mes mystifications, je n’avais pas le droit de me plaindre puisque j’avais ta chère petite lettre en compensation. Je ne sais pas où j’avais la tête quand je te disais que cette journée ne serait pas au nombre des heureuses de ma vie. Ce qu’il y a de sûr, mon adoré, c’est que ton adorable petite lettre sera toujours au nombre de mes plus doux et plus chers souvenirs et qu’elle prendra sa place dans mon reliquaire d’amour avec toutes les autres que tu m’as écrites depuis bientôt dix-sept ans [1]. Depuis que j’ai écrit cette phrase absurde, j’avais comme un remords de conscience dont j’avais hâte de me débarrasser en demandant pardon à ta bien aimée petite lettre et à toi encore. Maintenant que c’est fait, je me sens le cœur plus léger et la pensée plus fraîche. Je t’aime avec un redoublement de vigueur et d’ardeur qui t’enlèverait au ciel si tu te laissais faire. Malheureusement tu ne te prêtes pas à ce genre de locomotion et il faut bon gré mal gréb que mon amour reste à terre. Que fais-tu, aujourd’hui, mon amour ? Le temps est si froid et si maussade que si tu m’en croyais tu passerais la séance chez moi au coin de mon feu. Cependant je n’y compte pas car je sais que tu n’es pas homme à quitter la politique pour le farniente d’une pauvre Juju comme moi. Je le sais et j’en bisque de toutes mes forces.

BnF, Mss, NAF 16367, f. 129-130
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « Quelqu’aient ».
b) « bon gré malgré ».


9 mai [1849], mercredi soir, 10 h. ½

Je n’ai presque plus d’espoir de te voir ce soir, mon bien-aimé, aussi vais-je me coucher bien tristement. Cependant je ne veux pas que tu croies que je t’accuse, bien loin de là, car je suppose que tu auras été retenu par les diverses machines électorales. J’aime mieux cela que de supposer que tu es souffrant ou indifférent. Comment va ton pied, mon petit homme ? Je te plains s’il faut que tu en souffres autant que moi. Je viens d’apprendre tout à l’heure une nouvelle qui m’a été désagréable pour les conséquences qu’elle peut avoir : c’est une pauvre femme cholérique [2] qu’on a transportée hier de chez elle ici et dont le mari était mort la veille dans le petit cul-de-sac qui est après le corroyeur. Certainement je ne suis pas femme à m’effrayer outre mesure, cependant j’aurais préféré que cette circonstance n’eût pas eu lieu dans la maison. On dit qu’elle est très mal, ce qui ajoute encore à la tristesse de la nouvelle. Enfin, mon cher adoré, pourvu que tu ne sois pas malade ni tous les tiens, c’est tout ce que je demande au bon Dieu. Il fera de moi ce qu’il voudra, s’il daigne seulement s’occuper de moi. J’ai vu Auguste Pierceau ce soir, il venait savoir de tes nouvelles. Du reste il ne pouvait pas m’apprendre grand-chose, car il ne voit personne et n’est pas encore d’âge à s’occuper de politique. Allons, voici l’heure passée où je pouvais espérer te voir. Le sort en est jeté pour ce soir, je ne te verrai plus, il faut que je me résigne, c’est ce que je tâche de faire en t’aimant encore davantage.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 131-132
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

Notes

[1Juliette Drouet conserve scrupuleusement tous les moindres présents que lui faits Victor Hugo. Les lettres reçues pour sa fête, pour le nouvel an, ou pour tous les événements particuliers, sont conservées dans un « nécessaire anglais fermé à clef » sous son traversin. (Gérard Pouchain, ouvrage cité, p. 17.)

[2Relatif au choléra. L’épidémie de choléra dont la France est la proie depuis le début du mois de mars 1849 fera plus de seize mille morts.

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