Bruxelles, 1er août [18]67, jeudi matin, 8 h.
Je t’aime, voilà mon bonjour. Je t’adore, voilà ma vie. Comment as-tu passé la nuit ? Aussi bien que moi je l’espère. Je crois que l’anniversaire du vieux bonhomme [1] a amenéa le beau temps avec lui. C’est le moins qu’il pouvait faire pour fêter le quatrième mois de la naissance de ce splendide petit-fils. Quant à moi, j’en ai le cœur tout en joie. Hélas ! pendant que nous réchauffons ici nos âmes à ce petit soleil levant, là-bas, à Guernesey, on pleure la pauvre petite étoile disparue Emily Marquand [2]. Cette mort si subite ne peut s’expliquer que par un accident hors de toute prudence humaine. Si on pouvait toucher à ces terribles douleurs, j’écrirais quelques mots de sympathiques regrets à toute cette pauvre famille affligée. Mais je ne suis pas assez sûre de ne pas surexciter son chagrin en cherchant à le consoler aussi. Je m’abstiendrai, te laissant à toi, le grand médecin de toutes les misères, le soin de leur envoyer un peu de baume de ton cœur. En voyant hier l’intérieur si doux, si paisible et si heureux de ta famille, je comprends sa résistance à tout déplacement et je me demande ce que toi-même tu peux y gagner. Quant à moi, mon bonheur est tout en toi ; partout où tu es je suis heureuse. Ta joie, c’est ma joie. Ton sourire, ma bénédiction.
BnF, Mss, NAF 16388, f. 204
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « a amener ».