Guernesey, 19 novembre 1862, mercredi, 4 h. du soir
Tu ne peux pas trouver mauvais que je désire te voir, mon doux adoré, puisqu’il m’est impossible de faire autrement dès que tu n’es plus auprès de moi. Cela ne veut pas dire que je grogne pour cela mais bien au contraire que je t’adore. La journée, quoique diaprée de fromage de Brie envoyé par ta femme tantôt, ne m’en semble pas moins très maussade et très longue. J’ai grand besoin que tu viennes m’apporter un peu de gaité et de bonheur. Ah ! voici le canon du coucher du soleil. Ce matin, au moment où on le tirait pour son lever, je t’ai aperçu dans ta chambre mais je n’ai pas la même chance dans ce moment-ci : ta fenêtre est close et rien ne remue dans ton logis. Tu es probablement dans ta chambre de verre car il me paraît impossible que tu puisses être dehors par cet horrible temps. J’espère que la nuit va te forcer à venir chercher le secours de ma lampe. En attendant je vais finir mes VILVOUSSES [1] pour être tout entière à toi. Il paraît que Lecanu s’est exécuté dans la personne de deux fromages dont une moitié pour moi ou pour Suzanne qui le réclame comme son dû. Quand à moi je l’abandonne au plus gourmand de la société samedi. Tirez vous de là tous comme vous pourrez.
Je t’aime.
BNF, Mss, NAF 16383, f. 244
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa