Guernesey, 19 mai 1862, lundi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon doux adoré, bonjour. Je vois par ta fenêtre encore fermée que tu n’as pas dû dormir beaucoup cette nuit, mon pauvre petit homme, et j’en ai le cœur attristé. Car à qui le repos est-il plus nécessaire en ce moment qu’à toi ? Je sais bien que tu tâches de rattraper ton sommeil de la nuit par celui du matin ; mais, outre que l’un ne vaut pas l’autre, c’est au prix d’un surcroît de fatigue pour toi tout le reste de la journée. Ce cercle vicieux ne s’appelle pas repos et se dit : brûler la chandelle par les deux bouts. Et voilà ce qui me tourmente. Heureusement que tu touches à un grand soulagement puisque tu penses envoyer demain la toute dernière partie des Misérables à Bruxelles [1]. Si cet espoir se réalise, comme cela paraît certain d’après ton féroce courage, ce sera le plus grand sujet de joie de ma petite fête demain. Quant au bonheur inexprimable et palpable de ma chère petite lettre annuelle, je te supplie de l’ajourner ne fût-cea que jusqu’au vrai jour de ma fête patronale qui est jeudi 22 mai et de ne pas surcharger ton effrayante tâche de demain en la compliquant par la NÉCESSITÉ de m’écrire. Ton sourire et ton baiser me [suffisent ? suffiront ?] adorablement en attendant. Et puis encore je baise tes pieds et je t’adore. J’ai passé une très bonne nuit et je me porte bien.
BNF, Mss, NAF 16383, f. 127
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa
a) « fusse ».