Guernesey, 6 mars 1861, mercredi matin, 10 h.
Bonjour, mon doux adoré, bonjour depuis le moment où j’ai ouvert les yeux, c’est-à-dire à 7 heures, bien que je ne te le gribouille qu’à présent. Bonjour donc et rebonjour, mon cher petit homme, et sourire et joie et bonheur si tu as bien dormi, si tu te portes bien et si tu m’aimes. J’espère que oui et je t’attends toute tendresse dehors. Je ne sais pas ce que sera le temps après midi et si nous pourrons faire une petite promenade sur la colline, car jusqu’à présent, il vente fort et le soleil est assez verdâtre. Je m’arrangerai, dans tous les cas, pour être prête à t’accompagner, si tu le crois utile à ta santé. Quant à moi, je suis presque gaillarde ce matin, ce qui prouve qu’il ne faut pas trop faire attention à mes gémissements ni à mes grognements quand je souffre comme un diable, car mon mal est comme le distique de François Premier : souvent goutte varie, etc. [1] Je voudrais qu’il en fût de même du tien de mal, et qu’il n’en fût plus question une bonne fois pour toutes. Il faudra bien que cela arrive quelle que soit sa ténacité, et ce jour là, je pousserai mon fameux cri traditionnel que je n’ai plus l’occasion de pousser souvent. Quel bonheur ! Mais je me rattrape par cette voix ridicule : mon Victor, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 64
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette