Guernesey, 30 mars [18]63, lundi, midi ¾
Je ne suis pas assez sûre de l’état dans lequel je me trouverai en rentrant, mon cher bien-aimé, voilà pourquoi je fais prendre les devants à ma restitus pour que mon cœur n’ait pas le même regret qu’hier. Du reste il est très probable que j’ai eu hier les yeux plus grands que les jambes en m’engageant à aller et revenir tout d’une traite à Moulin Huet. Aujourd’hui je crains bien d’avoir à en rabattre de beaucoup à en juger par la courbature que j’ai déjà. Enfin j’irai jusqu’où je pourrai, je ne peux pas promettre davantage. Le temps d’ailleurs est fort à l’orage et il se pourrait qu’il plût avant ce soir. En attendant je fais force de montées et de descentes dans mon logis pour être prête à l’heure convenue. Je ne pense pas que ces messieurs [1] resteront demain ; mais, dans tous les cas, tu ne pourras pas les quitter assez tôt ce soir pour pouvoir venir travailler avec Mme Chenay. Je devrais t’en féliciter parce que cela te force au repos tout en te distrayant mais mon égoïsme l’emporte sur ma sollicitude et je suis obligéea d’avouer que je regrette tous les moments où je ne te vois pas, même fussesb-tu le plus heureux des hommes loin de moi.
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 83
Transcription de Chantal Brière
a) « obligé ».
b) « fusse-tu ».