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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 novembre [1844], samedi matin, 10 h. ¼

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon adoré petit Toto, bonjour je t’aime. Ne sois pas fâché contre moi, mon Toto, car je t’aime bien profondément et bien passionnément. Cette nuit j’étais fort souffrante. Je le suis encore ce matin, c’est ce qui m’a donné ce petit accès de tristesse que tu as traduit en mauvaise humeur. Le fait est que je n’étais que souffrante. Je ne veux pas perdre mes droits pour cela et je compte aller avec vous partout autant de fois que vous irez vous-même n’importe où. Quittea à gémir un peu si je suis malingre ; ce matin je ne m’en prive pas puisque je suis seule et que je suis malade. Je vais me mettre à la diète et je me recoucherai si je ne me sens pas mieux. Du reste cela me contrarierait doublement d’être malingre ces deux jours-ci à cause de ma pauvre péronnelle [1] qui vient ce soir et que cela n’amusera pas beaucoup. Nous verrons cela : pour peu que ma tête se calme un peu, ça ira tout seul. Je n’ai pas encore mis cette Eulalie sur ces caleçons mais je doute que cela puisse s’arranger sans y perdre tout le bénéfice. Ainsi mon Toto il faut y renoncer. C’est vraiment bien dommage et j’espérais bien hier que tu profiterais de cette bonne occasion. Enfin nous verrons tout à l’heure. Dans tous les cas ce serait pour uneb autre fois. Jour Toto. Jour mon cher petit o bonjour, bonjour ne sois pas fâché. Une autre foisc je te laisserai coucher chez Mme de C… et je t’attendrai à la porte sans grogner. Voime, voime prends garde de la perdre. Je veux aller avec vous. Et je veux être très méchante si c’est mon bon plaisir. Ça vous attraped, ça vous vexe, j’en suis fâchée mais je veux que ce soit comme cela et pas autrement. Oh ! Mais voilà comme je suis. Je n’ai pas besoin d’être bonne, moi, ça me fait du mal. D’ailleurs : Ne forçons pas notre talent [2] etc. Je ne veux pas forcer le mien à être aimable puisque cela ne se peut pas. Je vous aime de toutes mes forces et de toute mon âme, c’est bien assez. Je vous donne ma vie, c’est juste, mais je ne peux pas vous donner ce que je n’ai pas. Baisez-moi, vous, et ne m’en voulez pas de vous aimer trop et de préférer vouloir être avec vous au lieu de vous attendre comme un pauvre chien oublié à la porte. Je serai bien contente quand cette difficile affaire sera finiee. Cependant il est impossible d’avoir résolu plus glorieusement la principale difficulté qu’on ne l’a fait hier en ce qui te concernait. Je commence à me fier au personnage et ce n’est pas peu de chose que d’avoir ma confiance. Voime, voime, Mamzelle Chi Chi est bonne avec son aplomb. Eh ! ben tant mieux, ça ne vous regarde pas. Baisez-moi et aimez-moi et venez me chercher bien vite pour aller à Saint-Cloud et ailleurs. Je vous suivraif avec grâce et avec bonheur, ce qui vaut encore mieux, n’est-ce pas mon amour ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 57-58
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « quite ».
b) « un ».
c) « autrefois ».
d) « attrappe ».
e) « fini ».
f) « suivra ».


16 novembre [1844], samedi soir, 10 h. ¼

Nous t’attendons, nous te désirons, nous t’aimons et nous t’adorons. Oh ! Mais non je ne veux pas d’amour collectif. Je me sens très bien la force de vous aimer et de vous adorer à moi toute seule et encore davantage à pied et à cheval voilà mon genre et ma volontéa. Ma pauvre Péronnelle [3] est rayonnante de joie on dirait qu’elle est aux anges dès qu’elle est avec nous. C’est vraiment touchant et entraînant cette pauvre fillette. Dieu veuille qu’elle se contente longtemps de ce bonheur là. En attendant, qu’elle en profite, cette chère enfant, je jouis de son bonheur avec reconnaissance pour toi et pour le bon Dieu qui l’avez faite ce qu’elle est. Je voudrais bien que tu viennes de bonne heure ce soir. De bonne heure il est déjà dix heures ! Je veux dire que je désire que tu viennes tout de suite quitte à finir ce sublime gribouillis demain matin. Dépêchez-vous donc cher petit rêvasseur. Vous voyez bien que nous vous attendons depuis longtemps. Dépêchez-vous vite, vite, vite, vite (style Cocotte) dépêchez-vous. Je n’ai pas encore pu ouvrir les journaux. Après ce que tu m’as dit, je ne les crois pas autrement intéressants. La Presse [4] aurait bien dû s’en tenir à ces quelques lignes de l’autre jour sans revenir de nouveau patauger à travers les toiles d’araignées du gouvernement. Que le diable la serre celle-là pour vouloir faire la belle servarde quand on n’en a pas besoin. Pardonne-moi ma tirade et baise-moi mon amour malgré que je sois furieuse.

BnF, Mss, NAF 16357, f. 59-60
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « vollonté ».

Notes

[2Souvenir de La Fontaine, « L’Âne et le petit chien », Fables (IV, 5) : « Ne forçons point notre talent / Nous ne ferions rien avec grâce… ».

[4Quotidien fondé par Émile de Girardin en 1836.

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