Paris, 9 avril [18]79, mercredi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, mes douleurs se suivent et mes grimaces se ressemblent. Tu ne t’en apercevras que trop pour peu que tu aies le triste courage de me regarder. Je te supplie dans ce cas-là de ne pas attribuer à de la mauvaise humeur ce qui n’est que de la souffrance. C’est bien assez, mon Dieu, que j’aie à les supporter sans y ajouter ton ironique méprise sur la véritable raison de ma laide maussaderie. Autrefois tu ne t’y serais pas trompé, hélas ! et ta compassion m’aidait à supporter mon mal au lieu de le désespérer comme maintenant. Ta tendresse a changé d’objectif avec le temps, c’est tout simple ; moi seule suis dans mon tort. Cependant Dieu sait avec quelle sincérité et avec quelle ardeur je l’ai supplié et je le supplie encore de te délivrer de moi dès que tu n’aurais plus besoin de m’aimer exclusivement. Il ne l’a pas voulu puisque je vis encore à ton grand déplaisir et à ton grand étonnement. Je t’assure vraiment que ce n’est pas de ma faute car je [bois les douleurs vie double ?] pour en finir plus vite. J’espère pour toi et pour moi que nous touchons au terme de mes épreuves et que tu pourras encore être heureux longtemps [après moi ?].
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF, 16400, f. 95
Transcription de Chantal Brière
[Souchon, Massin]