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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 septembre [1844], dimanche après-midi, 4 h. ½

Je t’ai vu, mon cher bien-aimé, mais, si peu, que, loin de me faire du bien, cela ne fait qu’irriter davantage le désir que j’ai de te revoir. Pauvre ange adoré, tu travailles, je le sais bien. Je ne t’en veux donc pas de n’avoir pas pu me donner plus de temps. Seulement, je te regrette et je te supplie de venir dès que tu le pourras.
Je suis bien contente, et Claire aussi, que Dédé ait trouvé sa petite bourse de son goût. Cette chère petite bien-aimée ne se doute pas qu’il y a dans un coin du monde deux femmes qui l’aiment bien tendrement et qui prienta le bon Dieu tous les jours pour elle et pour tous les siens. Embrasse-la pour nous deux tous les jours, mon cher adoré, je te rendrai autant de millions de baisers pour un seul que tu lui auras donné que tu voudras.
La mère Lanvin n’est pas venueb chercher Claire et en vérité je ne vois pas trop à quoi servent ces consultations. Je crois que cette homéopathiec est de la niaiserie distillée. Pour mon compte, je n’en fais aucun cas, et si Claire était sérieusement malade, je ne me contenterais pas de cette médecine. C’est donc par égard pour les préjugés du père et de la fille que je consens à ces allées et venues.
Je te dirai, mon cher petit Toto, que ce temps lourd me rend toute blaireuse. Heureusement que voici la pluie et j’espère qu’elle me rafraîchirad et me détendra. Prends garde, seulement, de la recevoir sur ta chère petite bosse. Je prends la précaution contraire avec Cocotte car je viens de la mettre dans sa cage à la fenêtre pour lui faire prendre un bain. Pauvre petite bête, ça n’a pas l’air de la régaler beaucoup. Mais, enfin, puisqu’on dit que cela lui fait du bien, je l’y laisse. Jour Toto, jour mon cher petit o, jour Toto. Je serai bien heureuse le jour où vous viendrez nous chercher pour cette fameuse promenade [1]. Tâchez que ce soit bientôt mon Victor chéri, cela nous rendra si heureusese.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 133-134
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « prie ».
b) « venu ».
c) « oméopathie ».
d) « raffraîchira ».
e) « heureuse ».


8 septembre [1844], dimanche soir, 5 h. ½

J’ai presque reçu toute la pluie sur la tête, mon cher petit bien-aimé. Il me semblait, au fur et à mesure qu’elle tombait, qu’on me desserrait la tête et le cœur. À présent je suis on ne peut pasa mieux et si j’étais sûre de te voir tout de suite et de passer toute la soirée avec toi, je pousserais mon cri de guerre : — quel bonheur ! Mais, hélas ! j’ai la presque certitude du contraire, ce qui renfonce ma gaieté jusqu’au fin fond de mon cœur. Vois-tu, mon Toto adoré, il m’est impossible d’être heureuse sans toi. Plus je vais et plus je sens combien c’est vrai. Toutes les richesses et toutes les joies du monde ne sont rien si tu ne les partagesb pas. Pense à moi, mon cher bien-aimé, aime-moi et viens le plus vite possible, je t’en prie.
Je ne t’ai pas encore écrit sur ton beau papier parce que j’avais à m’acquitter d’un gribouillis monstre d’hier et d’un non moins monstre aujourd’hui. Mais, demain, je m’étalerai sur le veloursc de coton de votre bienfaisance [2]. Dieu de Dieu, quelle phrase, j’en suis émerveillée moi-même. Fichtre, si je me mets à avoir de l’esprit comme ça à présent, ce sera gentil. J’aime mieux être bête tout bonnement. Je trouve que cela me va mieux.
Nous avons voulu, tout à l’heure, faire goûter à Suzanne de cette cassonaded perfectionnée pour voir ce qu’elle en dirait mais elle s’y est obstinément refusée sous prétexte qu’on voulait l’empoisonner. Cette confiance m’honore comme tu vois. Au reste, nous y avons goûté Claire et moi à chesse, c’est très bon vraiment et je regrette de n’en avoir pas un tonneau pour ma consommation particulière. J’y ferais honneur. Dites-donc, vous, je voudrais bien vous baisez avant le dîner, est-ce que vous ne viendrez pas ? J’en serais bien vexée et bien triste.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 135-136
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « peut » est omis.
b) « partage ».
c) « velour ».
d) « cassonnade ».

Notes

[1Victor Hugo a promis à Juliette qu’ils iraient se promener à Villeneuve-Saint-Georges pendant les vacances de Claire.

[2S’agit-il d’une allusion ? D’une citation ?

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