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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 août [1844], samedi matin, 11 h.

Merci, mon cher petit bien-aimé, merci d’être venu ce matin, merci, merci. Je t’aime. Vous voyez bien que vous avez changé de pelure ce matin, vilain monstre. Et vous avez bien fait mais vous n’avez pas bien fait de me tromper hier sur l’usage de votre bel habit. Taisez-vous, je ne veux pas que vous mentiez. Taisez-vous et baisez-moi. Je vous pardonne si vous m’êtes fidèle.
Mon pauvre petit Toto [1] n’a guère de chance d’aller à la campagne de ce temps-ci. À votre place, je ne l’y aurais pas laissé aller car le moins qu’il puisse gagner à cette expédition, c’est un rhume de cerveau. D’un autre côté, ce pauvre petit ne peuta pas toujours rester enfermé, donc vous avez bien fait de le laisser aller. Ma pauvre péronnelle [2] ne sera pas beaucoup mieux [illis.] aujourd’hui car le temps est pris pour toute la journée. C’est comme fait exprès chaque fois qu’elle sort. Quel horrible été !
Je suis sûre que je n’ai pas dormi 2 heures cette nuit avec les bruits et les odeursb effroyables de la maison. Depuis trois mois, ma maison ressemble tout à fait à la maison de santé des Pilules du diable [3]. Je ne sais pas quand cette longue mystification finira, mais j’en ai depuis longtemps assez.
Je te dis tout cela comme une nouveauté. Pauvre ange, je te plains d’en être réduit à lire ces informes gribouillis, tout parsemés d’amour et de baisers qu’ils sont.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 89-90
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « peux ».
b) « odeur ».
c) « pillulier ».


24 août [1844], samedi soir, 5 h. ¼

Je l’ai, je l’ai, mon Toto adoré, ce fameux talisman, il ne me quittera plus qu’avec la vie maintenant. J’étais folle quand je l’ai donné, ou plutôta j’avais tout à fait perdu le souvenir de la ressemblance de mon talisman avec celui du beau Pécopin [4], toujours jeune, toujours beau, et toujours charmant. Non pas que j’espère que ce talisman magique ait les mêmes vertus à mon égard, loin de là, je sais très bien que pour les pauvres Bauldour comme moi, il n’existe pas d’autre talisman [5] que l’amour et celui-là ne nous empêche pas de vieillir et d’enlaidir ainsi que vous l’avez si bien prouvé dans votre sublime histoire. Mais c’est en l’honneur du beau Pécopin et du beau Toto que je veux toujours porter cette pierre enchantée. Il est impossible d’avoir mis plus de grâce et plus d’empressement à me rendre ce petit bijou que n’en a mis Mme Luthereau. Je désire que tu le lui rendesb par des services effectifs auprès de Trébuchet si tu le peux. Vrai, mon Toto, j’ai beaucoup de reconnaissance pour cette pauvre femme qui pour me faire plaisir plus tôt a dû s’imposer quelque privation pour dégager ce bijou et que le mauvais temps n’a pas arrêtée une minute.
Je t’aime, mon Victor. Je t’aime de tout l’amour à la fois et tous les jours davantage, quoique cela me paraisse à moi-même impossible. Je baise tes divines mains et tes ravissants petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 91-92
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « plus tôt ».
b) « rende ».

Notes

[1Il s’agit de François-Victor Hugo.

[2Claire.

[3Juliette Drouet fait référence ici au deuxième tableau de l’acte II des Pilules du diable (féerie en 3 actes et 20 tableaux de Ferdinand Laloue, Anicet-Bourgeois et Laurent, Cirque-Olympique, 16 février 1839) où, sous l’emprise de la Folie, la maison de santé dans laquelle logent les personnages principaux s’anime : « […] les fenêtres de la maison s’ouvrent. À chaque étage et à chaque appartement, s’exercent les états les plus bruyants. Là, c’est un piqueur qui donne du cor ; ailleurs, c’est un serrurier qui forge, un chaudronnier, un menuisier ; vacarme épouvantable. » (Acte II, tabl. 2, sc. 4). [Remerciements à Roxane Martin.]

[4Allusion à la Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour, vingt-et-unième lettre du Rhin.

[5Ce bijou est une turquoise.

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