Paris, 22 avril [18]72, lundi matin, 8 h.
Où en es-tu de ta nuit, mon cher bien-aimé ? Comment l’as-tu passée ? That is the question… en attendant je te dirais que la mienne n’a été qu’en saut de carpe depuis le moment où je me suis couchée jusqu’à celui où je me suis levée. Est-ce amour ? est-ce enthousiasme ? est-ce Pologne ? est-ce folie ?… [1] je crois que c’est tout cela à la fois et je ne m’en plains pas et je ne m’en porte pas plus mal ce matin : attrapé ! Mais ce qui me rabat quelque peu le caquet, c’est ce bête de VIREMENT de temps qui nous ramène brusquement de mai à JANVIER. Pour moi qui soupire depuis si longtemps après les flâneries côte à côte avec toi, ce temps est plus qu’un désagrément c’est un malheur. Ca m’apprendra à ne pas saisir le soleil aux cheveux et à ne pas accrocher mon bras au vôtre chaque fois que l’occasion s’en présente. Dorénavant, soyez tranquille, je serai de toutes vos sorties et de toutes vos princesses… privées ou non. Diable : je m’aperçois un peu tard que je fais un métier de dupe en étant votre Cendrillon. À partir du premier beau jour je me pose et je m’impose grande dame ayant donjon sur votre cœur et fief dans votre âme.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 111
Transcription de Guy Rosa