17 mars 1858

Guernesey, 17 mars 1858, mercredi matin [illis.]

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour sur tes yeux, sur tes lèvres, dans tes rêves et dans ton âme, bonjour. Je me suis levée avec le soleil ce matin et bien m’en a pris pour le voir aujourd’hui car je crois que le voilà déjà qui se cache derrière un brouillard très épais. Du reste, mon vrai soleil à moi, celui de mon cœur, ne devant se lever sur ma vie qu’à six heures ce soir, je m’inquiète peu de celui du bon Dieu toute la journée. Tel^a est mon style, ce qui ne m’empêche pas d’être très vexée chaque fois qu’on s’adresse à moi pour t’obséder sous prétexte d’album et autres autographes. Tu feras ce que tu voudras de la supplique de M^lle Loisel mais quant à moi, je ne t’en reparlerai plus pour ne pas t’ennuyer^b de surcroît de l’ennui involontaire que je te cause trop souvent. Ma discrétion à ce sujet est tellement forte que j’ose à peine te rappeler ta bonne promesse de me lire de ta sublime poésie [1] dont je suis si avide dimanche prochain, tant je crains de t’importuner et de te déplaire. Autant je suis heureuse de la moindre petite faveur volontaire que tu me donnes, autant je redoute d’en solliciter qui te coûte et te fatigue. Ainsi, mon Victor adoré, quel que soit mon désir de t’entendre dimanche, je préfère y renoncer pour peu que cela te contrarie car avant tout, bien avant tout, je veux que tu sois libre et heureux. Je t’adore, Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 60
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « tel ».
b) « ennuier ».