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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 juillet [1848], mardi après-midi, 2 h. ½

La pauvre Juju n’a pas énormément envie de rire et même si elle ne pensait pas à ce soir elle aurait extrêmement envie de pleurer. C’est qu’en vérité la chose n’est pas drôle. Et dire qu’il y en a pour six mois, c’est affreux [1]. Je voudrais pourtant te dire autre chose car je t’excède avec mon éternelle complainte. Tu aimerais peut-être mieux mourir pour la patrie, ou bien [plus] encore : je me brûle l’œil au fond de la République, avec variations, détonations et autres diapasons à l’unisson de l’aimable pétition dans laquelle nous croupissons. Pour peu que tu y tiennesa je veux bien jouer de ce [galoubet  ?] mais il m’en coûtera car je ne suis rien moins que geaie. Le moyen d’ailleurs avec les vingt-cinq mille millions de kilomètres qui nous séparent [2] ? Riez donc à cette distance-là comme c’est commode. J’aimerais presque autant danser la polka sur des culs de bouteilles en compotes. Et puis au fait je ne suis pas payée pour faire la gentille et avoir de l’esprit et je ne donne rien à crédit. Quand vous voudrez voir une Juju spirituelle comme tout et gaie comme un pain d’un soir vous la paierez. Si non, non je garde ma belle humeur pour une meilleure occasion. Tout ce que je peux faire pour vous sans me déranger énormément c’est de vous aimer comme quatre et de vous désirer comme quarante et de vous baiser à mort.

Juliette

MVH, 8110
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « tienne ».


11 juillet [1848], mardi après-midi, 5 h. ½

Je suis abrutie, mon pauvre ami, et pour peu que cela aille en progressant avant six mois je serai passée à l’état chronique de crétine et goitreuse. En attendant je remâche sans cesse les mêmes mots accommodés tous à la même sauce de stupidité ! Cela n’est pas très piquant même pour moi, et je commence à trouver mon affreux miroton un peu bien fade et bien nauséabond. Je voudrais bien que la providence me servît un plat de son métier meilleur que les précédents pour me remettre en appétit de la vie et en goût du bonheur qui me manque depuis trop longtemps. Malheureusement la République est une médiocre pourvoyeuse et je crains fort qu’elle ne nous fasse tirer la langue encore bien du temps. Tout cela n’est pas encourageant et n’est rien moins que rassurant. Cependant je vais te voir dans quelques heures pourvu qu’il ne pleuve pas. Cela ne m’empêcherait pas d’aller te voir mais cela t’empêcherait peut-être de pouvoir me reconduire un bout de chemin. C’est pourtant là-dessus que je compte pour me rabibocher un peu de cette longue et presque stérile journée. Aussi je serais très fâchée qu’il plût pour vous, l’heure où j’irai t’attendre. D’ici là je vais bien prier le bon Dieu pour qu’il laisse la soirée belle et tranquille afin de mieux jouir du bonheur d’être avec toi.

Juliette

MVH, 8111
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

Notes

[1Les lettres précédentes laissent à penser que Juliette Drouet ne peut rompre son contrat de location avant le 15 janvier. Néanmoins elle emménagera à la cité Rodier durant le mois de novembre 1848.

[2Après avoir assisté, durant les événements de juin 1848, à l’envahissement de son logement par des émeutiers, la famille Hugo a quitté la place Royale pour s’installer au 5 de la rue de l’Isly, s’éloignant alors de la rue Sainte-Anastase où vit Juliette Drouet.

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