Guernesey, 11 janvier 1858, lundi soir, 5 h. ½
Je suis un peu souffrante, mon cher bien-aimé, mais que cela ne t’occupe pas plus que moi, car c’est un petit tribut que ma santé paye de temps en temps à la maladie pour éviter de trop grosses exactions en blocs au moment où je m’y attendrais le moins. J’espère que demain, il n’y paraîtra plus et que je pourrai emboîter ton pas sur la colline, même à cloche-pied, tant j’ai besoin de me retrouver à ton libre avec toi à la face de Dieu et des étoiles. En attendant, ma pauvre restitus ne sait sur quelle plume danser car vous les occupez toutes, y compris la table et les chaises qui en dépendent, pour avoir voulu seulement dans le PIPITRE [1], ce petit lambeau de papier. J’ai fait tomber des rames de manuscrits que j’ai ramassées avec tout le soin, l’émotion et le respect que m’inspirent vos sacrés papiers. Rien n’a été gâté ni effaré, mais l’ordre de deux ou trois feuilles peut être interverti. J’espère que cela ne te donnera aucune peine à remettre à sa place, mon cher petit homme et que tu ne m’en voudras pas de ma maladresse causée par trop d’obéissance à ton préjugé restitus.
Je t’aime mon Victor, plus qu’aucune éloquence ne saurait le dire. Je t’aime plus que plein le cœur, plus que plein la terre et le ciel.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16379, f. 12
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette