Guernesey, 20 oct[obre 18]78, diman[che] matin, 6 h.
Cher bien-aimé, voici un temps à souhait pour ta chère santé : pas de vent, rien que du soleil et le chant des petits oiseaux qui fait un tumulte charmant dans les branches de mon jardin pendant que mon cœur repasse tous nos doux souvenirs d’autrefois et que mon âme te bénita. J’espère que ta nuit aura achevé de dissiper tout à fait ton crachement de sang et que le médecin te permettra de sortir en voiture tantôt, au moment de la plus grande chaleur [1]. Cette pensée me fait sourire de bonheur d’avance. En attendant qu’elle se réalise, permets-moi, mon grand bien-aimé, d’appeler ton attention sur le danger qu’il y a pour ta vie à porter sur toi habituellement des sommes très fortes et faites pour tenter les convoitises d’un malfaiteur. Les secrets les mieux gardés, à ce qu’on croit, finissent presque toujours par être devinés et susb par les êtres dangereux toujours en quêtec de mauvaises actions dont ils espèrent profiter. Je t’assure, mon grand bien-aimé, qu’il y a péril pour toi à te faire ton propre coffre-fort et qu’il vaut encore mieux exposer ta serrure à être crochetée que ta vie. Je te supplie de faire cesser cette imprudence que rien ne motive autour de toi. L’excès de précaution, tu l’as dit toi-même, dénonce. Renonce à être la souricière de ce morceau de lard. Je t’assure qu’un simple cadenas fermant bien vaut mieux que toutes les poches les moins percées et les plus mal gardées. N’ajoute pas sans nécessité une mauvaise chance de plus à celles, hélas ! que la fatalité tient toujours en réserve, même pour les plus grands et les plus admirés comme toi. Ȏte-moid cette inquiétude de surcroît, je t’en supplie, et sois heureux autant que tu es adoré et béni par moi.
Syracuse
Transcription de Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]
a) « bénis ».
b) « su ».
c) « quêtes ».
d) « ote-moi ».