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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 février [1846], jeudi matin, 9 h.

Bonjour mon petit Toto, bonjour mon aimé, bonjour mon adoré petit Toto. Tu n’es pas venu. Je pense que c’est que tu ne l’auras pas pu et je ne t’en veux pas, j’ai le cœur triste, voilà tout. Je sens que j’ai un besoin inexprimable de te voir et je pense avec effroi au temps qui me sépare encore de toi. Les jours, les nuits et les heures paraissent bien longues pour les gens qui attendent la santé ou le bonheur. J’en fais tous les jours la douloureuse expérience en t’attendant.
Cher bien-aimé, as-tu pensé à moi au moins ? M’as-tu regrettée ? M’as-tu désirée ? Ça n’est guère probable et je suis une folle de te le demander. Moi je n’ai pensé qu’à toi jusque dans mon sommeil et ma première action en m’éveillant c’est de m’occuper de toi. Pauvre adoré, je t’aime. Je te dis tous les jours la même chose mais c’est du fond du cœur. Je ne te demanderai pas à sortir aujourd’hui malgré l’envie et le besoin que j’en ai parce que je souffre trop de mon pied. Je prévois le moment où je ne pourrai plus poser mon pied à terre. Ainsi, mon cher bien-aimé, tu n’as pas à te préoccuperª de moi tantôt, soit que tu travailles ou que tu aies du loisir puisque je ne pourrai pas de toute impossibilité sortir. C’est avec un gros soupir de regret et presque de chagrin que je t’écris cela car dans mon guignon habituel il est probable que tu viendras me chercher. Je suis capable dans ce cas-là de sortir sur la tête plutôt que de laisser échapper cette bonne occasion.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 123-124
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « préocuper ».


5 février [1846], jeudi après-midi, 4h. ½

Tu ne veux pas que je sois triste, mon bien-aimé, mais tu fais tout ce qu’il faut pour que je le sois et je le suis de tout mon cœur. Il m’est impossible d’être autrement. Si tu viens ce soir et si tu restes un peu avec moi je ne serai plus malheureuse mais jusque là je me donne la permission de l’être tout mon saoul.
Tu ne m’as pas donné la tentation de sortir, ce qui m’aurait fort embarrassée. Je ne sais pas s’il m’aurait été possible d’y résister et je sais encore moins comment j’aurais fait pour mettre un pied devant l’autre. Tu as trouvé la manière de sortir d’embarras en ne m’offrant rien du tout. Eh ! bien je ne t’en ai pas la moindre obligation (quel charmant caractère), paru que je me figure que tu ne penses pas à moi et que tu n’as pas le moindre désir de sortir avec moi. C’est peut-être très injuste, ce que je te dis là, mais j’ai le malheur de le penser. Suzanne est sortie depuis tantôt pour aller chez sa cousine. Elle reviendra pour le dîner. Je suis en tête à tête avec mon mal de pied, l’aimable compagnie, j’en aimerais mieux une autre, cependant il est vrai que j’ai sous les yeux le lapin loustic de la propriétaire qui fait mille folies de son corps de lapin, ce qui fait pâmer la vieille portière et la cuisinière. Moi je reste impassible devant toutes ces joies. Il me faudrait bien autre chose, ma foi, pour me faire sourire, devinez quoi mon cher petit loup. En attendant que ce quoi m’arrive, je souffre, je grogne et je rage. Chacun prend son plaisir où il le trouve, à plus forte raison CHACUNE.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 125-126
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

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