Guernesey, 9 janvier [18]68, jeudi matin, 8 h. ½
Tu fais bien de dormir, mon cher bien-aimé, car il fait froid et sombre ce matin à ne pas distinguer sa main droite de sa main gauche. Voilà une demi-heurea que je te guette et que j’attends le jour et comme vous ne paraissez ni l’un ni l’autre, je suis venue me refourrerb dans mon lit d’où je gribouille à tâtonsc toutes ces lamentations stupides mais inutiles. Pour égayer un peu la situation, je pense que tu as eu une aussi bonne nuit que la mienne, que le petit roi Georges sera très content de sa liste civile et que Ruy Blas n’aura pas trop à se plaindre des naturels belges pour une fois voir, savez-vous. Je pense aussi avec un certain plaisir que j’ai quelques bons articles à lire sur ce sujet et que je vais m’en fourrerd jusque-làe [1]. Je n’oublie pas pour cela que j’ai à t’envoyer un dessert complet pour ton déjeuner de magistrats ce matin. Tout à l’heure je me lèverai pour arranger cela moi-même. J’y joindrai le cognac et le rhum en tout cas. Et c’est ainsi que de rien en rien on arrive à la fin de son gribouillis, ayant à peine la place de je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 9
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « une demie heure ».
b) « refourer ».
c) « tâton ».
d) « fourer ».
e) « jus-là ».