Guernesey, 25 août 1856, lundi après-midi, 4 h. ½
Cher adoré, voici bientôt la limite extrême de la journée et tu n’es pas encore venu me voir une pauvre petite fois. Cependant, tu sais que je n’ai pas d’autre joie que toi, pas d’autre bonheur au monde que de te voir. Il faut que tu sois bien occupé pour que ta bonté habituelle ne t’ait pas encore poussé vers moi. Du reste, je sais combien tu as de choses à faire et je ne m’étonne pas de ton absence, seulement je ne peux pas m’empêcher d’en être triste. J’ai pioché toute la journée comme une pauvre MALCENAIRE [1] pour donner mon linge tout raccommodé à la blanchisseuse, mais j’ai beau faire, la journée me semble bien longue, les heures bien lourdes et le temps bien maussadea loin de toi. Quand je pense que je suis peut-être une gêne ou un ennui pour toi malgré tout mon courage et toute ma résignation, je me reproche de vivre trop longtemps et de t’aimer trop. Et pourtant, il est impossible d’être plus adorablement bon que tu l’es pour moi. Voilà, mon cher adoré, ce que ton absence prolongée m’inspire d’absurde et de contradictoire. Je souffre, mon bon petit homme, pardonne-moi et viens me voir le plus tôt que tu pourras. En attendant, je te gribouille tout ce qui me passe par le cœur. Justement, te voilà. Je ne souffre plus, je suis contente, je suis heureuse.
J.
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 221
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette
a) « maussades ».