Guernesey, 1er août 1856, vendredi après-midi, 4 h.
Mon petit homme, mon bien-aimé, mon adoré, je t’aime. Après ce mot-là, mon cœur tire l’échelle et plus rien ne monte à mon esprit. Je t’aime, je t’aime, je ne sors pas de là, tant pire pour toi si tu n’aimes pas cette note-là. Combien de bainsa as-tu pris aujourd’hui ? C’était le cas d’en prendre plus que de [galon ?] car il fait une chaleur atroce. Quant à moi, j’en ai le caquet rabattu depuis ce matin, sans compter un BON mal de tête par-dessus le marché. Cependant, le vent vient depuis un moment de rafraîchir un peu cette température de chaudière à vapeur et je n’en suis pas fâchée. Il est probable même que je profiterai de cette légère brise pour te demander de me faire sortir si tu viens assez à temps pour cela avant ton dîner. Quand je pense que demain peut-être je ne pourrai presque pas te voir ni dimanche non plus si tu as Mme Colet, cela ne me fait pas rire du tout. Aussi, je voudrais profiter aujourd’hui de toutes les minutes que tu pourras me donner, si tu peux m’en donner, ce qui n’est pas sûr. En attendant, je t’aime, voilà mon joyeux refrain et ma philosophie et et et ma a a a philosophie ie ie [1], ce qui ne devrait pas vous empêcher de venir si vous aviez un peu de cœur. En attendant, j’ai appris une chose qui m’a touchée et attristée en même temps ; c’est que cette pauvre Mlle Boutillier, dès que je lui avais eu appris que je la quittais, s’étaitb enfermée chez elle et qu’elle avait beaucoup pleuré parce que, dit-elle, elle ne s’était jamais attachée à personne comme à moi. Pauvre femme, je regrette bien sincèrement de ne pouvoir pas rester chez elle car les natures douces et honnêtes comme la sienne sont bien rares. Cependant cela me fait encore plus sentir combien je t’aime.
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 204
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette
a) « bain ».
b) « c’était ».