Guernesey, 21 juillet [1] 1856, lundi soir, 7 h. ½
Il ne sera pas dit que ton nom adoré aura passé une seule fois devant moi dans son nimbe éblouissant et sublime, sans être salué par mon cœur à triple salve d’amour, ô mon doux bien-aimé, et sans répandre tout le parfum de mon âme sur tes divins pieds. Quoique bien fatiguée et presque malade, je ne laisserai pas s’achever cette journée sans te donner ma restitus la plus tendre, la plus souriante, la plus heureuse, la plus en fleur que je pourrai. D’autres te donneront des bouquets et te feront des compliments bien tournés, moi je te donne vingt-trois ans de fidélité éprouvée et pure de toute souillure humaine. Je n’ai que cela à t’offrir, c’est bien peu et c’est tout. Cela ne s’achète pas mais cela se compte dans les trésors du bon Dieu et c’est là que tu l’y trouveras quand les biens du ciel remplaceront pour nous ceux de la terre. En attendant, et pour te montrer que je suis encore dans ce monde, je te donne ma belle robe violette brochée d’or mais je désire qu’elle entre plus particulièrement dans l’arrangement de ta chambre que dans celuia de la galerie [2]. Cependant, si tu en préfères l’emploi ailleurs, je te laisse tout à fait maître d’en faire ce que tu voudras, car avant tout, je tiens à te faire plaisir. Cependant, n’allez pas croire que ma générosité soit tout à fait désintéressée car vous vous tromperiez du tout au tout. J’espère que vous ne voudrez pas rester EN RESTE avec moi et que vous me donnerez un petit dessin POUR VOTRE FÊTE. Telle est ma force. Maintenant, approchez vos deux joues que je les baise à indiscrétion et soyez sobre de toute coquetterie ce soir avec les femmes qui vous la souhaiteront BONNE ET HEUREUSE, et gardez-moi votre cœur bien entier et bien intact.
Juliette
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 196
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Massin, Blewer]
a) « celle ».