Paris, 9 déc[embre] 1870, vendredi matin, 10 h.
Le temps a beau être laid, froid et triste, et l’inquiétude dominer de plus en plus notre sombre horizon politique, mon cœur reste vaillant et mon âme radieuse car je t’aime, je t’aime, je t’aime invinciblement. J’espère que tu es arrivé sans trop de neige et de boue chez toi hier soir, mon cher bien-aimé, et que tu as bien dormi en dépit de tous les soucis du moment. Quelles seront les nouvelles d’aujourd’hui ? Qui le sait ? En attendant, les gardes mobiles passent depuis ce matin précédés de leur musique la plus gaie et la plus crâne ; espérons que la variante sera un chant de victoire au retour. À ce propos, je crains que tu sois bien seul ce soir à dîner car ton fils Charles a le projet de se réconforter de la piteuse chère qu’on lui a fait faire ici hier en dînant avec son frère et sa femme au fameux cabaret Brébanta [1] . Aujourd’hui je ne trouve rien à redire à cette revanche du bœuf contre le cheval ; mais je m’en plains pour toi que leur absence attriste. Je voudrais dédoubler mon cœur et grandir mon esprit au point de t’empêcher de trop souffrir de la privation momentanée de ce cher trio ce soir. Mais tous mes efforts ne servirontb qu’à faire ressortir davantage leurs places vides et leur esprit envolé. Résigne-toi, mon cher Grand bien-aimé, à mon seul amour.
MLVH Bièvres, 130-8-LAS-VH 5 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain
a) « Bréban ».
b) « servirons ».