Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1864 > Août > 13

Guernesey, 13 août [18]64, samedi matin, 6 h.

Bonjour, mon grand bien aimé, bonjour et bonheur si tu as passé une bonne nuit et si ton petit Toto [1] va tout à fait bien ce matin, comme je l’espère. Je ne sais pas encore si tu as HISSÉ ton cher petit pavillon parce que je ne veux pas réveiller la pauvre Suzanne dans le cas où elle dormirait, ce qui fait que je ne suis pas encore sortiea de ma chambre pour aller voir si notre doux signal est présent. J’aime mieux, à tout prendre, qu’il ne soit pas si matinal parce que cela me fait craindre que tu aies peu ou mal dormi. Je ne dis pas cela d’après moi car je suis levée depuis cinq heures et j’ai eu une très bonne nuit et je me porte comme le plus vieux des ponts-neufs. Si j’étais sûre qu’il en soit de même pour toi et pour ton fils, je serais très heureuse. Dans le doute, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Je crois, mon cher petit homme, que tu ferais bien de t’assurer de ce que désire ton fils quant au départ collectif. Il vaudrait mieux, il me semble, le laisser entièrement maître de te rejoindre où et quand il lui plairab plutôt que de l’obliger de te suivre bon gré mal gré en l’attendant indéfiniment. J’y ai pensé cette nuit dans les courts moments que me laissait le sommeil. La question est de savoir au vrai ce qu’il préfère, ce qui n’est pas facile avec les diverses interprétations de votre entourage à tous les deux, sans compter les habitudes de tendresse déférente et respectueuse de ton charmant petit Toto [2]. Mais, toi, son père, tu sauras bien deviner ce quic lui plairait le mieux et [illis.] notre départ là-dessus. Du reste, pour ma part, je suis prête à tout même à rester en [stylite  ?] un pied en l’air et l’autre sur mon sac de nuit tout le temps qu’il vous faudra pour vous décider, fût-ce même pendant quarante ans comme Saint-[Trochu de Meuvy  ?] (Haute-Marne). Maintenant que je vous ai donné MES CONSEILS et fait ma profession de foi je vous baise aux quatre points cardinaux.

BnF Mss, NAF 16385, f. 215
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « je ne suis pas encore sorti ».
b) « il lui plaîra ».
c) « ce qu’il lui plairait ».


Guernesey, 13 août [18]64, samedi matin, 7 h. ¼

Mon adoré bien-aimé, mon âme s’élance vers toi, et mon cœur saute dans ma poitrine comme s’il voulait s’échapper pour passer dans le tien. Je suis folle d’amour, de reconnaissance et de bonheur. Je pleure, je ris tout à la fois. Tu ne devines pas pourquoi ? C’est que je t’ai vu tout à l’heure tournant tes yeux adorés de mon côté pendant que tu lisais ma lettre, que tu l’as baisée avant de la serrer et que tu as fait un signe d’amour dans la direction de ma maison. Te dire ce que j’ai éprouvé à ce moment-là, je ne le pourrais pas. C’était comme une vision du paradis. Ô mon adoré, mon adoré, mon adoré, toutes les félicités promises et éternelles sont dans ce baiser furtif de ton âme à mon âme. Je te bénis à genoux. Que Dieu te garde de tout mal ainsi que tous ceux qui t’appartiennent. Je te donne ma vie, je te donne tout en ce monde et dans l’autre pour ce baiser de flamme que j’ai surpris et volé à l’espace. Sois béni, sois béni, sois béni, je t’adore. Pourvu que tu ne sois pas souffrant, mon pauvre bien-aimé. Cette pensée traverse ma joie sans la détruire comme une égoïste que je suis. Pardonne-moi, je t’aime jusqu’à la félicité, jusqu’au délire, jusqu’à l’extase.

BnF, Mss, NAF 16385, f. 216
[Souchon]

Notes

[1Un mal de gorge de François-Victor Hugo a retardé le voyage.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne