22 octobre [1838], lundi matin, 11 h. 45
Bonjour mon petit homme, je vous écris à l’heure de ma pendule qui n’est pas du tout la vraie heure. Il est tout au plus dix heures à présent.
Vous n’avez pas été gentil hier, vous êtes cause que j’ai fait des mauvais rêves toute la nuit. Aussi je suis triste ce matin, d’autant plus triste que je vois bien que je ne vous verrai pas de la journée. Il fait un temps ravissant, et si je ne craignais pas de vous impatienter, je vous exprimerais le regret de ne pouvoir passer cette journée dans la vallée de Bièvres.
J’ai reçu une lettre de ma Claire ce matin. Elle sort jeudi à ce qu’elle me dit. C’est bien dommage que la pauvre petite ne puisse pas voir Ruy Blas, même si on le donne ce jour là, car elle n’a aucune espèce de pelure pour se présenter nulle part.
Enfin, de quelque côté que je me retourne, je n’ai que des sujets d’ennui et de chagrin. J’ai ton air sur le cœur depuis hier. C’est que tu n’avais pas du tout la mine d’un homme qui aime sa Juju, mais bien celle d’un homme qui ne se contient plus et qui laisse voir l’ennui et l’impatience qui le [débordent ?].
Enfin... C’est égal. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16336, f. 75-76
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette
22 octobre [1838], lundi soir, 8 h. 15
Il est probable, mon cher petit homme que, outre les affaires très réelles et très pressées que vous avez, il y a [sous jeu ?] ce soir, quelque gueuleton à domicile, ou ailleurs. Au reste, si l’envie m’en prend bien fort, je pourrais bien aller m’en assurer par moi-même. Ce Bertin me paraît très insidieux, ainsi que l’ignorance parfaite de l’heure de la répétition, mais je vous le répète, pour la répétition ou autre, je pourrais bien m’en informer ce soir, et être plus heureuse que vous. En attendant je reste dans mon coin, je fais acheter du raisin à vingt sous la livre POUR VOUS, et j’écris à Mme Lanvin pour qu’elle envoie son mari savoir au juste quand il doit aller chercher Claire à la pension, puisqu’il est peu probable que vous m’y meniez. En même temps je lui dis de s’assurer des places qu’elle peut placer sûrement dans ses amis et connaissances.
Et puis je vous aime, quoique je sois un peu montée contre vous. Donnez votre vec et aimez-moi content que je vous aime. Soir pa, soir man. Mon petit homme est bien i, choisissez celui des deux que vous voudrez, je vous les donne tous les deux, ainsi que mon cœur et tout ce qu’il y a dedans.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16336, f. 77-78
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette