Guernesey, 6 décembre 1857, dimanche soir, 7 h.
Je te donne ici, en masse, mon cher bien-aimé, toutes les caresses et toutes les tendresses que ton travail opiniâtre m’empêche de te donner en détail sur ton front, sur tes yeux, sur ta bouche, plein ton cœur et plein ton âme. Maintenant, mon sublime piocheur, permets-moi de te donner le conseil de ne pas travailler avec cette assiduité féroce et surtout immédiatement après tes repas. Sans t’en apercevoir, mon pauvre doux adoré, tu empiètes chaque jour sur les minutes de ton repos et sur tes courtes nuits de sommeil. Pour peu que tu continues encore quelque temps comme cela il n’y aura plus pour toi de distinction entre la nuit et le jour ; tout ton temps sera absorbé par le travail et Dieu sait ce qui arrivera de ta santé lancée à toute vapeur de ton génie. D’y penser la sueur de la peur m’en vient au front et dans les mains. Je t’en supplie, mon divin bien-aimé, aie pitié de toi et de moi en enrayant un peu ton travail le temps seulement de manger et de dormir comme un simple homme. Je t’en serai bien reconnaissante car je t’aime plus que ma [vie ?].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 219
Transcription de Chantal Brière
[Souchon, Massin]