Guernesey, 28 mai 1857, jeudi après-midi 3 h
J’avais apprêté hier ce bout de papier pour t’écrire, mon bien aimé, quand les soins à donner à mon petit balthazar hebdomadaire et surtout les souffrances aiguës de mes pauvres pattes m’ont empêchée de donner suite à cette douce habitude quotidienne. Depuis quelquea temps les douleurs semblent prendre mon courage à parti et il y a des moments où je crains qu’elles n’aient le dessus. Heureusement que mon amour est plus fort que tous les maux et qu’il me vient en aide au plus fort de la lutte. Hier au soir grâce à ton adorable chanson j’ai converti mes grincements en dents de scie en sourire et mon insomnie en une douce rêverie entre terre et ciel, et mes infirmités physiquesb en jeunesse immatérielle dont la poésie faisait les ailes. Aujourd’hui encore je ne touche la terre que pour voir mon bonheur de plus près et pour t’aimer à deux genoux. Cher adoré, quand la vilaine chenille qui cache mon âme sera tombée tu verrasc sa beauté parée de toutes les sublimes pierreries de ton divin génie. En attendant je te crie du fond de ma chrysalide : je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16378, f. 93
Transcription d’André Maget assisté de Florence Naugrette
a) « quelques ».
b) « phisiques ».
c) « veras ».