Guernesey, 15 septembre 1861, dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher petit homme ; bonjour, plein ton cœur et plein ton âme, bonjour. Si tu as bien dormi et si tu te portes bien, comme je le désire et comme je l’espère, je suis heureuse et je pardonne à ma mauvaise nuit qui ne m’a laissé aucune oreille à laquelle entendre. Grâce à Dieu d’ici à trois jours il n’y paraîtra plus et je pourrai me livrer à ce que j’aime le mieux après toi, à ma chère copire. Je suis sûre que c’est le vrai et sûr remède pour mes yeux. Quand le cœur et l’âme sont en fête, le moyen que les yeux pleurent ? En attendant j’ai déjà commencé la lecture Les Amis [1] dont je me pourlèche l’imagination dès les premières pages. tel père tel fils. Il ne faut rien moins que ce splendide pluriel pour faire pendant à votre sublime singulier. Cher adoré bien-aimé, tu vois que mon amour ne recule devant aucune difficulté grammaticale quand il s’agit d’exprimer mon admiration et mes sympathies pour toi et pour les tiens. Au besoin même j’en retrouve mon latin et mes pataquès ferraillent sans désavantage avec toutes les syntaxes de tous les Lhomonds [2] de l’univers. Mon thème favori c’est je t’aime au passé, au présent et au futur. Le reste est pour les académiciens, sauf vot’ respect ! Sur ce je vous baise ad libitum et toujours et partout.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16382, f. 97
Transcription de Florence Naugrette