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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 26 janvier 1854, jeudi soir, 4 h. ½

Je ne demandais pas mieux que de vous désobéir tantôt, mon cher petit bien-aimé, mais vos affreux papiers à ranger ne m’en ont pas laissé le temps. Vraiment, mon cher petit homme, tu devrais aviser à trouver un moyen de serrer tes papiers d’une manière plus conservatrice pour eux et moins inquiétante pour moi, car malgré toute ma sollicitude pour eux, je ne peux pas les empêcher de s’ébarber et de se déchirer. Ceci, en dehors de tout intérêt personnel et de toute préoccupation de la fameuse boîte, j’ai vu tout à l’heure la citoyenne Guay. Il paraît que l’affaire de Charles occupe toute la proscription dans ce moment-ci. J’en suis fâchée parce que, d’une part, leur maladresse et leur stupidité, d’autre part, les mouchards, stylés pour la circonstance, peuvent envenimer la chose et lui donner des propositions gênantes pour le petit pays où nous sommes. Peut-être aussi, et c’est là le plus probable, que tout cela se bornera à des cancans plus ou moins malveillants pour Charles et pour la gouine [1], prononcer queen ; il paraît en outre qu’on accuse le citoyen Fombertaux [2] de mouchardise, ce qui exaspère le dit citoyen et il y a de quoi de toute façon. Enfin, mon cher petit homme, vous voyez que je suis au fait de tous les bavardages des réfugiés, ce dont je ne suis pas plus fière. Même, je vous dirai, en confidence, que j’aimerais mieux savoir s’il a crié quand il m’a mordue ou repeindre votre volet [au colleur  ?] que de m’occuper de toutes ces billevesées de police et d’estaminet. Et puis je trouve qu’il se fait un peu tard pour un homme aussi attendu que vous l’êtes par moi. Cette phrase amphibologique a la prétention de vouloir dire que vous ne vous dépêchez pas beaucoup de venir me voir quoique vous sachiez que je vous attends et que je n’ai de joie qu’en vous. Cela est d’autant plus atroce de votre part que la poste est arrivée depuis longtemps. Je vous en dirais bien d’autres si mon papier était aussi long que mon indignation. Tenez, vraiment, je vous méprise.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 43-44
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière

Notes

[1Gouine : ce mot normand féminin (de ‘gouain : salaud’) désignait autrefois une prostituée avant de désigner péjorativement (1867) une homosexuelle.

[2Fombertaux est l’un des trois signataires de la « Déclaration à propos de l’Empire », avec Philippe Faure et Victor Hugo.

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