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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 mai 1836

23 mai [1836], lundi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme. Je t’aime de toute mon âme quoique je sois triste. J’ai bien des choses à te dire mais ce sont de ces choses qui n’ont de charme qu’autant qu’elles sont dites dans l’oreille de l’amant bien aimé. Hier, j’étais au Ciel tout le temps que j’ai espéré te voir. Mme Pierceau a dû me trouver bien maussade et bien malhonnête car quelque efforta que j’aie fait, je n’ai jamais pu lui dire deux paroles de suite. C’est que j’étais heureuse au-dedans. J’étais toute recueillieb dans mon amour. Je ne parlais qu’à toi, je ne savais que tes admirables vers. J’étais dans une si grande contemplation que toi seul, mon adoré, aurais pu m’en tirer. Viendras-tu aujourd’hui ? Viendras-tu bientôt ? Voilà ce que je voudrais savoir pour m’empêcher d’être triste. Cependant, je comprends bien à la rigueur que tu travailles et que tu es forcé de t’éloigner de moi tout ce temps-là. Je comprends encore les autres occupations qui peuvent te retenir loin de moi mais je ne supporte tes absences qu’avec peine. Je peux même dire que je ne les supporte pas du tout. Car tout le temps qu’elles durent, je suis comme une pauvre âme en peine qui attend sa délivrance de ta présence adorée.
Je n’ai pas envoyé chercher Claire ce matin puisque j’avais eu la visite de Mme Pierceau hier. Ainsi, je suis parfaitement seule avec ta pensée. C’est le seul bonheur que je puisse avoir quand tu n’y es pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 81-82
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « efforts ».
b) « receuillie ».


23 mai [1836], lundi soir, 9 h.

Cher petit Toto, je ne vous ai presque pas vu ce soir, tâchez donc de ne pas travailler pour revenir très tôt et pour souper avec moi, qui ai fait d’ailleurs un dîner extrêmement médiocre.
Que je vous aime, mon pauvre amour, et que vous le savez bien, vous vous êtes amusé à me chagriner tantôt en me traitant comme une bête brute. Je sais bien que c’est vrai mais je voudraisa que vous ne vous en aperceviezb jamais. Je voudrais que vous ne voyiezc que mon amour et pas du tout ma bêtise. Au surplus, vous m’empêchez de vous dire tout ce que je sens d’ineffabled et de charmant quand je vois votre belle tête rayonnante, quand je lis vos merveilleuses poésies, quand je pense à tout ce que vous êtes pour tout le monde et à ce que vous avez fait de moi et pour moi. Je garderai toutes mes adorations au-dedans de moi parce que je ne veux pas que vous vous en moquiez. Ce ne sera pas une chose très regrettable pour vous mais pour moi ce sera une grande privation.
Je sens ma tristesse qui revient au galop car j’ai peu l’espoir de te revoir ce soir malgré ce que tu m’as dit, que tu viendrais peut-être soupere avec moi. Tu paraissais préoccupéf de quelque grande merveille que ma stupidité n’ose pas envisager.
Je vais me coucher bien triste, t’aimant plus que tu ne veux et te désirant plus qu’il n’est besoin pour mon repos. Je t’aime, je t’aime, tant pis si je le dis trop souvent, ça m’est égal. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 83-84
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « voudrai ».
b) « apperceviez ».
c) « voyez ».
d) « innéfable ».
e) Les mots « ce soir » sont barrés et remplacés par « souper ».
f) « préocupé ».

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