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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 mai 1836

21 mai [1836], samedi 5 h. du soir.

Chère chère âme, c’est à mon tour à me souhaiter ma fête [1]. Sais-tu ce que je me souhaite, à moi ? C’est d’être toujours aiméea de toi, c’est de passer ma longue vie à t’adorer et à te bénir.
Pauvre cher bien-aimé, depuis hier, tu m’as donné bien du bonheur. Je n’en excepte ni l’or ni l’argent car ce sont autant de rayons de tes yeux qui ont pris cette forme et à ce titre ce sont de bien beaux et de bien précieux bijoux et dont je ne me séparerai que pour une cause sainte et sacrée pour notre amour.
Cher bien-aimé, j’ai réservé toutes mes joies pour ce soir entre nous. Mais en attendant, j’accumule dans le fond de mon cœur des trésors d’amour et de volupté que je répandrai sur tes cheveux, sur tes yeux, sur ta bouche, sur tes pieds. Que je t’aime, mon Victor adoré, que je t’aime ! Mon âme se multiplie au feu de mon amour comme un arbre multiplie ses feuilles pour les rayons du soleil. Je voudrais te dire tout ce qui se passe de merveilleux en moi chaque fois que mes yeux rencontrent les tiens, ce qui [passe ?] d’ineffable dans mon cœur chaque fois que ma pensée se fixe sur ton souvenir. Mais moi je suis comme l’arbre qui porte les fruits, je ne me charge pas d’expliquer ce que je ne sens pas plus qu’il ne se charge de manger ses fruits. Je vous laisse à vous, mon poète à la parole d’or, le soin de dire ce que je sens.
Dites donc, mon petit homme, nous sommes joliment [calés ?] à présent. phame. Nous avons joliment une bonne petite réserve en cas de famine. Notre petit grenier d’abondance est bien garni. Ah, ça mais je compte sur vous pour ce soir, que même que je ne vais rien manger du tout, me réservant pour ce soir pas de bonne fête où [illis.] n’est pas. Pas de bon repas où Bacchus n’est pas. [Aussi  ?] je vous attends pour compléter [illis.] fameuse journée du 21 mai 1836. En attendant, je vais amasser bien de la faim et bien de l’amour. De votre côté, ayez bien de l’appétit. Nous ferons un délicieux petit souper. Peut-être aussi aurai-je le bonheur de te voir bientôt, tu sais d’ailleurs que Mme Lanvin et ma fille s’en vont à 7 h. ½ au plus tard. Aussi, tâche de venir, que je te voie, mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 73-74
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « aimé ».


21 mai [1836], samedi soir, 8 h. ½

Vous voyez, mon cher adoré, que je vous fais généreusement les honneurs de votre grand papier. Vous avez été bien bon et bien gentil en venant me montrer le petit bout de votre nez ce soir ; ça fait que je suis moins triste que je l’aurais été si je ne vous avais pas vu du tout. Je nous fais préparer un bon petit souper que vous aurez la bonté de manger à belles dents. Moi, je mangerai comme je pourrai à cause des machines broyantes que j’ai le malheur d’avoir en très mauvais état. Mais vous, mon amour, vous êtes beau depuis les pieds jusqu’à la tête. [illis.] compte là-dedans dont je me fais une idée pareille à celle que j’ai du soleil et des étoiles, mais je ne veux pas vous dire trop vos véritésa parce que vous en abuserez auprès des belles, mon infidèle et je serai forcée de vous donner une immense quantité de coups de couteau, ce qui détériorerait un peu votre joli petit corps blanc.
Dis donc, mon petit homme chéri, j’espère que tu daigneras porter l’anneau d’or que je t’ai donné depuis si longtemps. Tu m’affligerais vraiment si tu t’y refusais. Tâche de trouver une raison quelconque pour motiver sa possession. Et puis vous aurez un petit cachet à votre image, un griffon convient à merveille à un griffonnier.
Je regarde la pendule. Je voudrais la hâter pour te faire arriver plus vite. J’ai tant de choses à te dire et j’ai si peu de choses à t’écrire car j’ai de l’amour plein mon cœur et de l’esprit plein votre tête, c’est ce qui fait que votre fille est muette [2]. Et puis je voudrais savoir où vous alliez si triomphant ce soir, il me semblait que vous étiez encore plus astre ce soir qu’à l’ordinaire et j’en ai conçua une petite espèce de jalousie pas plus grande que çab.
Aussi je ne serai pas fâchée de vous retenir encore une fois pour vous demander compte sur l’emploi de cette soirée.
Chère âme, il me semble que c’est aujourd’hui ta fête à toi. Je n’ai pas coutume de me réjouir autant [pour ?] la mienne. C’est donc par toi et à cause de toi que je suis heureuse. C’est par conséquent la fête de ta noble conduite depuis un mois. Hum, je dis mal ce que je veux dire, mais ce que je sens est pourtant bien charmant. Enfin, il faut que nous en prenions notre parti tous les deux et que tu traduises du mot : je t’aime tout ce que la langue humaine contient de plus doux et de plus ravissant parce que c’est tout ce que je sens.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 75-76
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « véritées ».
b) « conscu ».
c) Un petit trait suit, courant jusqu’au bout de la ligne.

Notes

[1Hugo a souhaité sa fête à Juliette le 21 mai, comme à son habitude, la veille de la Sainte-Julie.

[2Citation d’une célèbre réplique du Médecin malgré lui de Molière, concluant une fausse explication alambiquée.

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