Guernesey, 21 mars [18]73, vendredi matin, 7 h. 35 m[inutes]
Ton bonjour, mon bien-aimé, s’est rencontré avec le mien et ton baiser aussi, ce dont je suis si heureuse que j’en suis toute réchauffée, de glacée que j’étais auparavant. Je pensais en t’attendant au proverbe : quand on parle du loup on en voit la queue ; et les élections idem, à ce qu’il paraît. Je ne me doutais pas en t’en parlant hier en voir surgir une aussi prochaine. Celle que je prévois et qui me semble inévitable tu ne peux l’accepter qu’au renouvellement général de l’assemblée et dans la circonscription de Paris. Pour lui donner toute sa signification et toute sa puissance d’action. Je te parle de cela comme un aveugle des couleurs selon mon habitude de mouche du coche bourdon bourdonnante. Quant à celle que Lyon t’offre aujourd’hui, je n’en vois pas la nécessité, pas plus pour lui que pour toi, avec la dissolution prévue de cette caduque et criminelle assemblée dans un délai très rapproché [1]. J’aimerais mieux aller tout bonnement à Paris voir ton petit Victor, ton Petit Georges, ta Petite Jeanne et ta bru que de perdre mon temps dans les water-closet de Versailles. dixit ! Voilà toute ma politique pour le quart d’heure.
Le temps est beau ce matin mais raide. Cependant je voudrais bien sortir avec toi tantôt. Pour peu que mes vilaines douleurs le permettent je me donnerai cette joie si tu viens me chercher.
J’attends ce matin la Broisine qui doit venir chercher de l’argent. Je viens d’envoyer de la soupe au petit Planque qui va mieux dit-on. Pour ma part je te remercie avec reconnaissance d’allouer un pain par semaine à cette pauvre famille, au moins on sera à peu près sûr que les pauvres petits enfants ne mourronta pas de faim. Sois béni, mon adoré, autant que tu es bon.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 77
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « mourrons ».