Guernesey, 18 février [18]73, mardi matin, 7 h. 40 m[inutes]
Bonjour, bonheur, bonne journée, joie et amour sur toute la ligne, je t’ai vu, je t’ai souri, je te bénis ! J’aime à croire, mon adoré, que ta matinalité n’est pas aux dépens de ta bonne nuit, c’est pour cela que j’en suis si heureuse. Tant que je ne t’ai pas vu je crains de te manquer car il suffit de quelques secondes pour cela. Ce matin j’ai failli te laisser échapper quoique je fusse au guet parce que je transvidais ton eau de Cologne d’un flacon dans l’autre. Heureusement j’ai levé les yeux à temps et mon bonheur a été complet.
C’est aujourd’hui jour de grande poste, c’est-à-dire montagnes de lettres et de journaux pour toi et surcroît de fatigue aussi puisque cela implique la nécessité d’une réponse à chacun d’eux. Mais tu es si admirablement équilibré dans ta force physiquea et dans ton génie que tu suffis à tout et à tous, c’est pourquoi je suis bien tranquille. Seulement j’attendrai que cet embarras de… succès soit passé pour réclamer mon droit à la promenade.
Le beau temps de ce matin vous fait venir le printemps à la bouche et le cœur au ventre, on aimerait à prendre, comme les hannetons, « la clef des bois, la clef des champs, la clef des amourettes. » [1] Aujourd’hui mes vieilles jambes donneraient du fil à tordre à toutes les pattes de la création et le cœur donc !!!
Je ne te dis que ça : prenez-garde à vous !!!
BnF, Mss, NAF 16394, f. 47
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « phisique ».