Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1860 > Décembre > 9

Guernesey, 9 décembre 1860, dimanche 9 h. du m.

Je ne sais que te dire, mon pauvre bien-aimé, sinona que je t’aime et que tu n’en es pas plus heureux que si je te détestais. Cependant j’ai la conscience que je donnerais mille et mille fois ma vie pour toi mais cela ne suffit pas, hélas ! Il faudrait que je puisse refaire ma nature et n’avoir aucune des susceptibilités de ma position, c’est-à-dire de mon amour même. J’ai beau travailler à me faire la patience et l’indifférence nécessaire à notre bonheur usuel, je n’y parviens pas. Je t’aime, je t’aime, je t’aime et puis c’est tout ; et nous ne nous entendons pas, et tu es le plus malheureux des hommes et moi la plus odieuse des créatures à mes propres yeux. Ce bloc de Sisyphe que je soulève à si grand peine retombe toujours de tout son poids sur notre bonheur. La défiance est entre nous à tout jamais en ce monde et je ne suis pas bien sûre qu’elle ne nous suivra pas par delà cette vie. Aussi je suis profondément, bien amèrement et bien cruellement découragée. Je ne sais que faire, que devenir, que résoudre pour te rendre heureux. Je n’ai plus de confiance dans mon amour et je n’ose plus rien promettre ni rien espérer en son nom. Quant à toi, mon pauvre bien-aimé, tu devrais avoir du courage pour nous deux en séparant violemment nos deux cœurs si mal assortis. Dussé-jeb en mourir sur le coup je me laisserais faire avec courage pourvu que j’aie la certitude que tu seras tranquille et heureux après. Je n’ose pas te demander comment va ta tête et comment tu as passé la nuit, tant je suis découragée et triste.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 316
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « si non ».
b) « dussai-je ».


Guernesey, 9 décembre 1860, dimanche soir, 8 h.

J’ai été sur le point tout à l’heure de jeter mon triste gribouillis de ce matin au feu afin de te dérober le reste de ma mauvaiseté qui avait persisté jusque là. Mais, mon pauvre bien-aimé, je pense qu’il vaut mieux me montrer comme je suis, en mal comme en bien, au risque de me nuire dans ton cher cœur adoré. D’ailleurs il est juste que je sois punie par où je pêche et que j’aie la confusion de ma méchanceté jusqu’au bout. Cela m’apprendra à être bonne et à ne pas m’abandonner à mes déplorables emportements comme je le fais malheureusement pour ton bonheur et pour le mien. Et puis si tu m’en crois, mon trop bien-aimé, tu jetteras de toi-même et sans le lire mon méchant gribouillis au feu. De cette façon tu éviteras un nouveau chagrin que je regrette et que je déteste et que je n’aurais pas voulu te faire pour les dix ans peut-être que j’ai encore à vivre. Mon Victor adoré, pardonne-moi, songe que tous mes torts viennent d’une susceptibilité à la source au plus profond de mon amour pour toi. Quand tu liras ce gribouillis nos deux corps seront séparés mais mon âme sera auprès de toi t’inondant de tendresses et de baisers car je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 317
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne