Guernesey, 23 janvier [18]73, jeudi soir 5 h. ½
J’ai pris un bain ce matin, mon cher bien-aimé, ce qui t’explique pourquoi je ne t’ai pas gribouillé tout de suite après t’avoir vu parce que je ne pouvais pas laisser refroidir mon eau qui m’attendait avec ses 28 degrés Réaumur. Puis, une fois qu’on est désheuré, il n’y a pas de raison pour qu’on aille pas jusqu’au bout de la journée.
Cher adoré, j’espère que ce n’est pas une illusion mais tu m’as paru en très bonne santé quand je t’ai vu. Tu es même resté bien plus longtemps que de coutume et tu m’as envoyé deux bons baisers « qui n’ont pas obligé une ingrate » comme tu dis. Du reste il faisait à ce moment là le temps le plus charmant, on se serait cru au mois de mai tant il y avait de soleil, d’oiseaux et de joie répandus autour de nous et au dessus de nous. L’illusion n’a pas duré longtemps, témoin la pluie et le vent qui joutenta ce soir à qui mieux mieux. Il te sera bien difficile de sortir ce soir, du moins je le crains. Encore, si tu pouvais avoir reçu les nouvelles que tu désires et que tu attends, ce serait tout bonheur. À force d’espérer je finis par désespérer mais je serais bien heureuse si tu avais pied ou aile de Petit Georges et de Petite Jeanne ainsi que de leurs augustes parents.
En attendant j’ai payé ce soir la note du gaz 72 [illis.] 12. C’est énorme. Il est probable que la cherté du charbon est pour quelque chose dans ce chiffre inattendub. Je te le signale pour que tu te rendes compte où l’argent passe ; et aussi que je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 22
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « joute ».
b) « inatendu ».