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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 mai 1847

25 mai [1847], mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon Toto adoré. Tu n’as pas pu revenir cette nuit peut-être à cause de l’orage, peut-être encore parce que vous serez revenu très tard. À 1 h. ¼ du matin je me suis réveillée et j’ai eu toutes les peines du monde à me rendormir. J’ai toujours mon mal de gorge et même plus fort, ce qui me gêne extrêmement. Cela se complique de Suzanne qui a la cocotte [1] ou je ne sais quel mal d’yeux qui lui a pris subitement hier avec une telle violence qu’elle est presque aveugle ce matin. Je lui ai mis force compresses de ton eau et je lui ai bandé l’œil le plus malade. Il est impossible que nous songions à aller au Théâtre Historique [2] ce soir. Aussi quand Mme Triger enverra chercher le n° de la loge il est probable que je ferai dire à son mari de venir. Il est absurde de prolonger plus longtemps cet état de choses qui fait ressembler ma maison à l’intérieur de Bartholo [3].
Mon cher petit bien-aimé quelles absurdes lettres je t’écris tous les jours on dirait les bulletins d’une garde-malade. Cela ne m’empêche pas de t’aimer autant que si j’étais la plus fringante des Juju et de te désirer de toutes mes forces et de te baiser de toute mon âme. Tâche de venir de bonne heure et puis j’irai te chercher à l’Académie.

Juliette

MVH, α 7911
Transcription de Nicole Savy


25 mai [1847], mardi après-midi, 2 h. ½

J’aime mieux t’attendre, mon bien-aimé, et te donner un souper chaud. Le prétexte d’ajournement pour ces braves Triger sera mon mal de gorge, qui n’est malheureusement pas une fiction puisque j’étrangle, et les yeux de Suzanne qui sont hideux du reste. Si c’est le fils qui vient chercher le coupon, je lui offrirai la loge toute entière dans le cas où il tiendrait à aller au spectacle ce soir et où il voudrait aller retirer la loge. Pour ma part, je renoncerai sans regret à l’École des familles [4] à présent et dans l’avenir le plus reculé. Dites donc mon Toto vous êtes fort sale et trop pair de France. Vous devriez ne pas pousser la couleur locale jusque-là. Il faut laisser cela aux vieux vieillards. Avec tout cela je ne vous ai pas vu hier au soir. Et je ne vous verrai peut-être pas beaucoup encore aujourd’hui malgré que je vous donnerai à souper. Je viens de m’apercevoir qu’on donne Les Étouffeurs [5] ce soir et il est plus que probable que tu assisteras au chef-d’œuvre avant le premier mot et après le dernier. Je ne te blâme pasa, c’est ton goût mais je voudrais que tu le [partageasses  ?] un peu pour mon ennuyeuse personne. Certainement tu ne gagnerais pas au change parce qu’il n’y a pas de limites dans la suprême stupidité comme dans tout, mais tu me rendrais bien heureuse, ce qui serait peut-être une compensation en attendant, et quoi qu’il en soit, tu donnes la préférence à toutes les inepties qui se jouent sur les théâtres et ailleurs. La préférence est flatteuse mais peu consolante.

Juliette

MVH, α 7912
Transcription de Nicole Savy

a) Juliette omet « pas » en fin de ligne.

Notes

[1D’après Larousse, légère inflammation du bord des paupières.

[2Le Théâtre-historique a été inauguré en 1847 au 72, boulevard du Temple. Il donne depuis le 20 mai L’École des familles, d’Adolphe Dumas, que Juliette n’a visiblement pas grande envie de voir, comme elle l’écrit dans la lettre de l’après-midi qui suit.

[3On peut penser que Juliette fait allusion au Barbier de Séville et aux intrigues qui se trament dans la maison du vieux docteur Bartholo, où est enfermée sa pupille Rosine.

[4Pièce du dramaturge Adolphe Dumas (sans rapport avec Alexandre), donnée depuis le 20 mai au Théâtre Historique.

[5Les Étouffeurs de Londres, ou la Taverne des Sept-Cadrans, drame en cinq actes de Paul Foucher, le beau-frère de Victor Hugo, et Ernest Jaime.

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