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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 3 décembre 1854, dimanche après midi, 3h. ½

Je ne m’attendais pas, sachant tout ce que tu avais à faire aujourd’hui, mon cher adoré, à te voir plus tôt que d’habitude ce qui ne m’a pas empêchée pourtant de t’attendre comme si j’avais été sûre de te voir venir. Mon cœur et mon âme étaient aux aguets, épiant tous les fluides qui rayonnaient autour de moi, écoutant toutes les voix qui chuchotaienta de notre amour, respirant tous les arômes de l’air pour y retrouver ton haleine, mon enivrant parfum, mais, hélas ! cette attention soutenue n’a servi qu’à me convaincre davantage de ton absence et du vide de ma vie. Cependant ma solitude a été peuplée un moment par la visite de M. et Mme Dulac et de leur monstre d’enfant [1]. Ils ne sont restés que quelques minutes mais il n’en ab pas fallu tant pour que ce petit scélérat ait mis à sac la maison, les bêtes et les gens. Tout ce qui se dit de la turbulence et de la gâterie de ce petit bandit n’est rien comparé à la réalité. Je comprends maintenant pourquoi ils ne le mènent nulle part et pourquoi encore ils ne le quittent jamais. Du reste, à part ce nouveau siège de Sébastopol, que j’ai soutenu assez crânement grâce à mes munitions de bouche, il est impossible d’être meilleurs et plus gracieux que cet excellent couple-là. Je regrette que la distance ne me permette pas de profiter de leur sympathie pour moi. Ils parlent tous deux de venir demeurer plus près de la ville s’ils ne vont pas en Espagne ou en Piémont. En attendant je suis très contente d’avoir connu le petit groupe Préveraudc et je serais mille fois heureuse si tu pouvais partager notre dîner ce soir. Je n’y compte pas et je ne veux même pas trop y penser pour ne pas me donner des regrets qui dégénèreraientd en vrai chagrin. J’aime mieux penser que je t’aime plus que jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 412-413
Transcription de Chantal Brière
[Blewer]

a) « chuchottaient ».
b) « n’a ».
c) « Préverault ».
d) « dégèneraient ».

Notes

[1Adèle Hugo, dans son Journal (t. III, p. 391-392), confirme : « Dulac a un enfant de cinq ans dont le plus doux plaisir est de tout casser. »

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